La prospection de la péninsule de Snaefellsness nous a apporté de bien belles opportunités d’observations. Oiseaux marins nichant sur les falaises d’Arnarstapi mais aussi des mammifères marins comme les Lagénorynques et les Orques croisant à proximité des côtes. Mais en creusant davantage, il y a encore matière à réaliser des rencontres inattendues. L’un des avantages à découvrir l’Islande durant le mois de juillet, est que les journées sont longues. L’envie de poursuivre l’exploration l’emporte sur le sommeil… Alors plutôt que de chercher une zone pour bivouaquer, pourquoi ne pas se faire une balade crépusculaire ? Le pique nique dans le sac, nous partons à l’aventure sur un sentier près du littoral inhabité. L’ambiance est apaisante en cette fin de journée et la température qui a été agréable tout au long de la journée, l’est encore ce soir. Il est presque 21h et le soleil est prend son temps pour descendre sur l’horizon.
Le sentier que nous suivons serpente au gré des reliefs sur un plateau enherbé où de temps en autre, nous croisons un Pluvier doré. Des groupes de Courlis corlieux, après une journée de nourrissage, quittent le bord de mer et filent vers l’intérieur des terres, probablement vers une zone plus tranquille pour y passer la nuit. D’abord 10 Courlis, puis 9 puis 3 et 2 retardataires passent au dessus de nous en poussant leurs cris si intimement liés à ces paysages sauvages de l’Islande. Sur des blocs de lave dominant un petit lac aux contours irréguliers, un Traquet motteux passerait facilement inaperçu s’il n’était pas posé sur le sommet.
Quant au Cygne chanteur qui s’est établi dans le lac, malgré son plumage blanc immaculé, il parvient aussi de manière surprenante à se dissimuler, profitant du dédale des anses pour s’effacer à notre vue. Le chant qu’il lance par intermittence vient renforcer le caractère sauvage de ces instants. Alors que l’on s’approche du bord de mer, c’est un vol d’une trentaine de corlieux, les derniers pour la journée, qui emboite le pas des vols précédents.
Dans cette région de la péninsule, on croise régulièrement des restes d’habitation, des fermes qui datent des siècles derniers. Période durant laquelle vivre ici devait être bien difficile. Ces fermes occupées par des familles d’éleveurs de moutons ont au fur et à mesure des décennies étaient abandonnées. Seul le soubassement des murs porteurs formés de blocs de basalte est encore visible, sinon il ne reste de-ci de là que quelques tas de pierres. Longeant l’un de ces murets, nous surprenons un renard polaire, qui dès qu’il nous aperçoit détale sur environ 50 mètres avant de se retourner pour nous faire face. Nous identifiant comme trop près et potentiellement dangereux, il disparait derrière un amas de galets. Le temps de rejoindre sa dernière position et … plus la moindre trace du renard, comme volatilisé. Nous tournons un peu dans les environs mais impossible de le retrouver. Le paysage est assez plat mais malgré cela il a réussi à s’enfuir.
Le sentier rejoint le bord de mer. La côte ici aussi est découpée et entre deux avancées rocheuses, on trouve des baies où se sont accumulés de gros galets, fruits de l’érosion maritime. En y regardant de plus près, les galets ne sont pas les seuls, objets hétéroclites, bois flottés et autres restes de filets de pêche sont bien représentés. Nous nous installons sur une bute avec une vue dégagée sur la zone. Il est l’heure de prendre notre pique-nique. Le soleil voilé ne fait que de brèves apparitions mais les conditions sont agréables ce soir, le vent est faible. Après plus de 40 min d’attente, nous repérons à nouveau un renard déambulant le long des laisses de la plage. Par chance, il vient dans notre direction, farfouillant dans les algues pour tenter de trouver quelque chose à se mettre sous les crocs.
En détaillant cet individu, on se rend compte que ce n’est pas le même que tout à l’heure. L’aspect est plus maigrelet, de la bourre non muée, vestige du pelage d’hiver, est visible quasi-uniquement sur la queue tandis que le premier individu présentait de la bourre sur les flancs et la tête. Le dimorphisme sexuel étant très marqué chez l’espèce, on en déduit que celui-ci doit être une femelle et le premier un mâle. La couleur des poils d’hiver nous intrigue. Pourquoi ne sont-ils pas blancs ? Les renards d’Islande comme nos deux individus du jour appartiennent à la forme bleue des Renards polaires. Dans le monde, il existe en effet deux formes de renards polaires : la forme bleue et la forme banche. Cette dernière est la plus connue, et la plus représentée, constituant 99% de la population mondiale. Elle est blanche en hiver et grise l’été. La forme bleue, quant à elle, reste brune toute l’année. La population islandaise de renard, désormais isolée génétiquement des autres, est donc originale dans la mesure où les renards bleus en représentent les 80%.
Nous nous sommes allongés dans l’herbe afin de ne pas être repérés. Pour l’instant cela fonctionne et la renarde poursuit sa prospection en effectuant des zigzags sur la plage. Régulièrement elle fait un temps d’arrêt et marque son territoire d’un jet d’urine. Le vent est faible en cette fin de journée mais, inconvénient, il souffle dans notre dos. Alors qu’il est encore à plus de 70 m, elle redresse la tête, hume l’air, puis subitement, fait volte face et remonte en courant vers l’arrière plage. Au sommet des tas de galets de basalte, elle s’arrête et regarde dans notre direction. Elle ne nous voit pas mais elle a senti notre présence. Ne parvenant pas à nous localiser, elle ne sait comment réagir mais ses mouvements d’hésitations trahissent son inquiétude.
Le Renard polaire est le seul mammifère natif de l’Islande. Il aurait atteint cette ile perdue lors des périodes de glaciations il y a plus de 10 000 ans, la glace ayant servie de pont entre les terres du nord. Avec l’installation des vikings, le renard polaire est devenu une monnaie d’échange et sa fourrure particulièrement recherchée. Les temps modernes ne lui sont pas devenus davantage favorables. L’état islandais après avoir voulu tout simplement éradiqué l’espèce de l’île, finance aujourd’hui sa destruction. Ce serait environ 5 000 renards polaires qui seraient tués par an. Pourquoi une telle volonté de destruction de cet animal ? Sans danger pour l’Homme, la raison est une fois de plus économique et la situation de ce renard n’est pas sans rappeler celle du loup gris en France. L’Islande est un pays d’élevage où ovins et bovins représentent environ les 2/3 de la valeur de la production agricole. Afin de maintenir ce secteur et de limiter le dépeuplement des campagnes, des mesures visant à détruire les populations de renard ont été mises en place. Le goupil du nord serait un prédateur des jeunes agneaux … L’impact sur les ovins n’est pas la seule explication. En de nombreux endroits le long des côtes islandaises, on rencontre des parcelles de rivages clôturées, dédiées à la reproduction des Eiders à duvet. Ces gros canards nordiques bénéficient de toutes les attentions et d’une protection absolue depuis 1847 ! Ce n’est pas le cas pour les renards qui, faute de lemmings et autres rongeurs insulaires, se sont spécialisés dans la capture des oiseaux et la consommation de leurs œufs. Le renard polaire est donc un prédateur naturel de l’Eider et sa présence interfère dans la production de duvet dont l’Islande est le principal producteur mondial avec 3 000 kg/an. Un petit calcul intéressant à faire. Sachant qu’un nid d’Eider produit 16 g de duvet seulement, calculer le nombre de nids nécessaires pour fournir une telle production. A titre de comparaison, le nombre de couples nicheurs d’Eiders en Islande avoisine les 300 000.
Notre renarde préfère battre en retraite, mais on comprend son attitude quand on sait le sort que lui réserve habituellement l’islandais. Nous ne bougeons pas de notre poste d’observation, continuant à surveiller les environs dans l’espoir de la revoir. Efforts récompensés au bout de deux heures, nous finissons par l’apercevoir à nouveau mais cette fois-ci beaucoup plus loin. Une proie dans les crocs, elle se faufile dans le dédale de blocs rocheux. Nous la suivons un long moment aux jumelles jusqu’à ce qu’elle soit rejointe par deux boules de poils : Deux jeunes viennent lui faire sa fête quelques instants avant que tout ce beau monde ne trouve refuge dans la tanière, perdue au milieu d’un champ de lave. Il est tard pour ce soir, le soleil est déjà passé derrière l’horizon, il n’y a plus grand-chose à espérer pour cette nuit. Nous abandonnons notre poste et tout en retournant vers la voiture, nous n’en revenons pas d’avoir eu tant de chance. Deux belles obs de Renard polaire, apport de proie et la découverte d’une tanière ! Vivement demain pour revenir suivre les aventures de cette famille !
Le lendemain soir, vers 18h30, nous prenons place dans un affût que nous installons à distance respectable de la tanière. Pas trop loin pour pouvoir faire des photos, mais pas trop près non plus pour ne pas déranger la famille. Durant toute la journée, nous avons croisé les doigts pour que le soleil soit de la partie. Si durant la matinée, les nuages étaient présents, dans l’après midi, un vent marin (mais peut-il en être autrement sur une île !) s’est levé et à progressivement dégagé les cieux. Nous avons donc ce soir des conditions parfaites pour observer et photographier les Renards polaires. Même le vent souffle dans la bonne direction ! Il n’y a plus qu’à attendre ! Alors que le soleil décline à l’horizon, les jeunes sortent enfin de leur cachette. La tanière, utilisée durant plusieurs années par la même femelle, se trouve dans un champ de lave. L’entrelacs des blocs recouvert de mousses laissent des passages que prennent un malin plaisir à emprunter les jeunes, sortant tantôt devant nous, tantôt sur les côtés. Discrets au départ, ils inspectent sagement les environs depuis un petit promontoire.
Une fois en confiance, ils se livrent à toutes sortes de jeux, gambadant en tous sens. L’un finit par s’endormir sous les rayons du soleil, tandis que l’autre, plus téméraire part en expédition.
Aux appels des parents en chasse dans les environs, les jeunes répondent en poussant de petits aboiements. Quel plaisir de partager ces instants de vie ! Au gré de leurs vagabondages, les jeunes finissent par se rapprocher. L’un s’installe sur un petit rocher tandis que le deuxième toujours en mouvement, profite à merveille du relief pour apparaitre et disparaitre. La lumière à cette heure du jour est tout simplement géniale, elle nappe les paysages et les jeunes renards d’une teinte dorée.
Après avoir fait quelques séries d’images et afin de limiter notre temps de présence sur le site, nous profitons d’un retour des jeunes dans la tanière pour nous éclipser en toute discrétion, les laissant à leur intimité. Instants d’une rare intensité !
1 Comment
Frédéric Bacuez
Merci pour le reportage et les superbes photos de ces Renards… nordiques !
Amitiés. Frédéric.