Samedi 02 janvier 2016
C’est le jour de notre départ, en effet après 15 jours de voyage à travers le pays, il est malheureusement temps de rentrer en France. Pour cette dernière journée, nous avions réservé à l’avance une sortie sur les iles de Dakar. Si la plupart des touristes vont visiter l’Ile de Gorée pour son histoire dans la traite des esclaves, nous, nous avons choisi les Iles de la Madeleine. Havre de quiétude et de nature, ce petit archipel constitué de deux iles se trouve à quelques encablures de la côte (3,6 km pour être précis). C’est l’un des plus petits parcs marins au monde puisqu’il ne couvre que 45 ha, terre et eau comprises. Erigées au statut de parc national en 1976, la prise de conscience de la richesse de ces iles est antérieure car dès 1949 elles ont été classées en réserve. Les premiers inventaires datent de 1749 avec le botaniste français Michel Adamson puis bien plus tard, complétés par d’autres naturalistes dont Théodore Monod qui y fera une escale en 1938. Celui-ci s’intéressera aussi aux restes de présence humaine …
A ce jour, 110 espèces végétales ont été dénombrées sur ces bouts de roches basaltiques jetés dans l’océan. Anciennement, ces iles étaient appelées “Iles aux oiseaux”, du fait du grand nombre d’oiseaux marins qui s’y reproduisaient. La sécurité qu’offre l’éloignement de la côte vis-à-vis des prédateurs, la richesse des eaux en poissons et la particularité d’être les seules iles rocheuses proches de la côte au sud du Sahara expliquent cette fréquentation en nombre. Si aujourd’hui les effectifs reproducteurs n’ont plus rien à voir avec le passé, c’est en raison des activités humaines (militaires, agricoles, construction d’un lazaret…) qui s’y sont développées au gré du temps. Le classement en parc national a eu un effet bénéfique en permettant une recolonisation par les différentes espèces d’oiseaux.
Nous avons rendez-vous ce matin à 8h30 dans les locaux du parc. Ceux-ci se trouvent dans une petite anse sur la corniche de Dakar. Nous sommes surpris de trouver les portes closes. En insistant un peu, un garde endormi sur le canapé se lève, s’habille et vient nous ouvrir ! Ça commence bien. Nous lui expliquons que nous avons appelé il y a 3 semaines pour réserver une sortie sur l’ile et que celle-ci était prévue en début de matinée. Il fait la moue, et nous indique que ce n’est pas possible, il n’y a aucun piroguier de disponible … Après de longues minutes, il se décide à en appeler un … Verdict, il y a de la houle et la marée n’est pas bonne pour accoster. Il faut attendre jusqu’à midi pour voir si la traversée est possible. Nous errons sur la corniche en attendant l’heure puis revenons attendre dans les locaux, regardant un mauvais film de série b.
Vers 13 heures, enfin, le signal du départ est donné. Le ponton permettant d’accéder à la pirogue est rudimentaire et malgré l’abri de la baie, il y a des vagues. Nous ne sommes qu’une petite dizaine à embarquer. Dès que l’on quitte la baie, la houle venant du nord nous fait faire les montagnes russes. Un coup on voit les iles, un coup on ne les voit plus. Mais les rouleaux vers lesquels nous nous dirigeons ne nous font pas rigoler. Ils sont impressionnants lorsqu’ils s’écrasent trois mètres plus bas. On se dit que les piroguiers devaient avoir leurs raisons pour ne pas s’y aventurer plus tôt. D’ailleurs ils n’ont pas l’air d’être d’accord entre eux pour savoir quelle trajectoire suivre pour attendre l’ile sereinement ! Nous on est plutôt d’accord avec celui qui est à la barre derrière nous. Il propose d’obliquer par le sud pour contourner l’ile tout en évitant les grosses vagues et le gros navire échoué …. Bingo, c’est lui qui a le dernier mot. Cette déviation nous permet de nous rapprocher d’une balise où sont perchés deux oiseaux. Le mouvement de la houle et la distance rendent difficile leur identificatio aux jumelles. On fait une photo rapide avec le petit appareil, la détermination se fera plus tard devant l’écran de l’ordinateur. Et bien, il s’agit de deux Fous bruns, seul contact avec cette espèce lors de notre voyage … une coche non cochée …
Nous longeons les falaises ouest de l’ile hautes d’environ 30 mètres et constituées de prismes (ou orgues) basaltiques trahissant son origine volcanique. Les iles de N’Gor, de Gorée et de la Madeleine tout comme la presqu’ile du Cap Vert (l’avancée où est construite Dakar) sont le résultat d’une activité volcanique datant du Miocène (entre 5 et 23 millions d’années). L’ile principale de l’archipel de la Madeleine est d’un point de vue géologique atypique en raison de la nature de la prismation basaltique que l’on y rencontre. Côté ouest de l’ile on trouve des prismes basaltiques « classiques » verticaux, de gros diamètres ayant été formés à l’interface entre la couche de lave et l’air environnant plus froid.
Mais dans d’autres parties de l’ile, les prismes basaltiques que l’on rencontre sont horizontaux, plus fins, de longueurs comprises entre 50 et 80 m mais surtout courbes à leurs extrémités. En 1953, le géologue Marcel Combier décrivait l’ile principale en ces termes «Le Sud de l’île est divisé en secteurs d’une trentaine de mètres de hauteur, séparés par de profondes coupures au fond desquelles gronde la mer. Des gerbes de colonnes basaltiques d’axe courbe mais quasi horizontal paraissent se jeter l’une contre l’autre. On croirait saisi -depuis longtemps figé- le mouvement même des laves qui jaillissaient de la profondeur et se rencontraient en chocs gigantesques. À l’extrémité Sud de l’île, inaccessible, l’axe des colonnes se relève jusqu’à la verticale et dessine une arche naturelle entourée d’écume ».(1) Ce type de structure prismatique en « arcs », dont la genèse n’est pas encore expliquée, est extrêmement rare sur la planète.
Au fond de la petite crique de St Hubert, que nous traversons doucement, se trouve le débarcadère. La houle du large se fait encore partiellement sentir et de belles vagues pénètrent jusque sur la plage de gros galets noirs. Les eaux n’étant pas profondes, il faut relever le moteur nous laissant ainsi à la merci des vagues qui nous chahutent. Des piroguiers se jettent à l’eau pour stabiliser l’embarcation et nous amarrer non sans mal. Le débarquement se fait rapidement. Une fois sur la terre ferme, on peut souffler.
Réunis près du seul palmier de l’ile, le guide débute sa présentation. Il explique l’absence de colonisation par l’Homme en raison de la présence des génies protecteurs. Ceux-ci jetèrent des pierres et des boules de feu sur les premiers Lébou qui tentèrent de s’installer ici au XVIème siècle … Théodore Monod trouva des tessons de poteries, des débris de coquilles et des os longs de mammifères mettant en évidence une colonisation proto-historique mais aussi préhistorique de l’ile principale. Malgré toutes ces tentatives de colonisation, l’ile reste vierge de toute construction aboutie. Nous grimpons sur le plateau pour débuter la balade qui nous emmènera faire le tour des 17ha de l’ile. En cette saison sèche, deux couleurs dominent, le jaune de la végétation et l’ocre du sol.
Nous passons à proximité d’une colonie de Cormorans à poitrine blanche installée sur les falaises. Modérément confiants, les oiseaux se reposant sur le haut de la falaise décollent à notre passage le long du sentier, seuls restent les oiseaux couvant en contrebas.
Au sud-est de l’ile, nous empruntons entre des blocs de basalte un petit sentier descendant en direction de la plage à proximité de laquelle gît un gros bateau. C’est l’Almadraba Uno, un thonier espagnol qui est venu s’échouer sur un haut fond en août 2013. Depuis le bord de mer, nous constatons que des chiffres ont été peints sur les blocs de granite. Nous sommes sur l’un des trois secteurs où l’oiseau emblématique des Iles de la Madeleine se reproduit, le Phaéton à bec rouge.
Derrière certains de ces blocs, des femelles sont en train de couver l’œuf unique qu’elles ont pondu. La période de reproduction s’étale sur plusieurs mois, débutant à partir du mois de décembre et se terminant vers juin. Selon les années le nombre de couples oscille entre 20 et 40. Il semble que cette année nous soyons dans la fourchette haute. Notre guide grimpe dans les blocs rocheux, inspecte quelques terriers et nous invite à venir découvrir un oiseau en train de couver. Coup d’œil rapide, deux photos puis nous nous éloignons pour ne pas gêner l’oiseau. L’objectif de notre sortie sur les iles est atteint, nous avons réussi à voir cette magnifique espèce d’affinité tropicale. Il y a quelques années, nous avions échoué dans notre tentative de l’observer sur les côtes indiennes de la péninsule arabique. Nous étions trop tard en saison !
Il existe trois espèces de Phaéton à travers le monde. La Phaéton à brins rouges, le phaéton à bec jaune et le bec rouge. Ce sont de grands oiseaux pélagiques, élégants avec leur long prolongement caudal qui permet de doubler la taille de l’oiseau. Ils passent l’essentiel de leur vie à voler au dessus des océans qu’ils soient Pacifique, Atlantique ou Indien. L’aire de répartition du Phaéton à bec rouge recouvre partiellement les eaux tropicales de ces trois océans. Ce n’est qu’en période de reproduction qu’ils reviennent près des côtes et notamment celles des iles rocheuses pour y pondre. L’espèce se rencontre sur certaines iles des Caraïbes, sur la côte ouest du Mexique, sur les iles Galapagos, sur les côtes rocheuses d’Oman ainsi que sur les Iles du Cap vert et sur le seul site du Sénégal, les Iles de la Madeleine. Depuis début 2015, un projet de monitoring à l’aide de balises GPS se met en place sur les oiseaux sénégalais afin d’en connaitre davantage sur leur écologie. Quelles sont leurs zones d’alimentation durant la période de reproduction ? Et hors période, où vont-ils ? Quels sont les interactions avec les pêcheries industrielles ? Ce projet de suivi s’inscrit dans un cadre plus vaste, dénommé « Alcyon » (2) qui met en relation différents projets menés sur l’avifaune marine et se déroulant dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest (Mauritanie, Sénégal, Iles du Cap vert…). Ces programmes cherchent à connaitre les besoins alimentaires ainsi que les zones fréquentées par les Sternes royales, caugeks, caspiennes, les Puffins du Cap-Vert, les Fous de Bassan, les Goélands d’Audouin afin d’identifier les ZICO (Zones Importantes pour la Conservation des Oiseaux) marines et de proposer des mesures de protection. Ces eaux possèdent une importante ichtyofaune attirant de grandes quantités d’oiseaux marins. On estime que c’est ici que se trouvent les plus grandes concentrations de Fous de Bassan au monde. Environ 30% de la population mondiale hivernerait dans les eaux au large de la Mauritanie. Cette richesse attire d’autres prédateurs beaucoup plus redoutables, des flottilles de bateaux de pêche industrielle. En échange d’aide au développement, Les navires chinois ont accès aux eaux territoriales mauritaniennes et pêchent sans limite puisqu’il n’y a aucun quota et très peu de moyens de vérification de la part des autorités. Le chalutage, les filets dérivants, les palangres écument ces eaux naturellement riches. En 2013 lors d’un contrôle d’un cargo chinois, il y avait dans ses cales des poissons mais aussi des Fous de Bassan plumés et congelés … Il y a donc en mer un braconnage sur les oiseaux marins protégés qui sont capturés à l’aide des filets ! A ces menaces viennent se rajouter les menaces émergentes que sont l’exploration du pétrole et du gaz au large des côtes sénégalaises …
Sur le deuxième secteur de l’ile, le guide nous indique un endroit où nous pouvons nous installer pour observer les Phaétons sans les déranger. Postés sur un petit promontoire rocheux, nous surplombons les flots et les vagues qui viennent s’écraser en contrebas.
Le soleil, certes bien voilé pour le moment, est dans notre dos, il n’y a plus qu’à attendre les oiseaux. Habituellement, les femelles couvent tandis que les mâles sont en mer toute la journée et ne reviennent que vers 16h. Ils peuvent s’éloigner jusqu’à 50 km de la colonie pour aller trouver les poissons volants dont ils raffolent. Vers 14h, un bel adulte fait un passage un peu lointain. 30 min plus tard, le même oiseau nous gratifie d’observations plus rapprochées, il tente à maintes reprises de rejoindre une cavité sans y parvenir. Il passe à proximité de notre poste d’observation mais la lumière est vraiment insuffisante pour faire de beaux clichés. Vers 15h, l’activité augmente, deux oiseaux tournoient autour des falaises. Le soleil fait son apparition mais immédiatement les brumes de chaleur sont là !
Vers 16h, on dénombre 5 oiseaux survolant de leur vol léger l’écume des vagues se fracassant contre les falaises. C’est à ce moment là que le guide revient nous chercher. Il est l’heure de quitter l’ile. Nous faisons nos dernières photos des oiseaux alors que la lumière commence à peine à être belle ! Nous rejoignons le plateau pour rendre visite au vénérable, le plus vieux et le plus impressionnant des 68 Baobabs nains que comporte l’ile. Soumis à de rudes conditions climatiques et notamment aux fortes tempêtes venant de l’Atlantique, ces arbres se sont adaptés. Le tronc est puissant et les branches ne s’élèvent pas au dessus des 4 à 5 m de haut.
Le sentier nous ramène près de l’embarcadère où nous attend le reste du groupe. Quelques minutes à patienter en observant les cormorans qui se baignent dans la crique puis la pirogue arrive. Retour vers Dakar avec un océan qui s’est quelque peu assagi. Nous croisons un pêcheur, bien esseulé sur sa frêle pirogue, remontant à la main sa ligne.
Plus on approche de Dakar et plus l’eau à une odeur épouvantable d’égouts. Les stations d’épuration sont-elles vraiment efficaces ? Et dire que certains mangent les poissons qui survivent dans ces eaux côtières !
Nous terminons notre fin d’après midi à la terrasse d’un petit restaurant de la corniche, tout en dégustant un dernier grand verre frais de Bissap.
Le soleil passe derrière l’horizon et notre temps au Sénégal se termine. Quand on se retourne sur notre parcours et ces 15 jours, on se dit quel beau pays ! Que les gens sont accueillants et que malgré certainement une érosion de la biodiversité ici aussi, il y a encore de beaux restes. Des paysages semi-désertiques du Djoudj où se concentrent des millions d’oiseaux d’eau, à l’Ile de Kousmar, royaume hivernal des Faucons crécerellettes et des Elanions nauclers au delta du Sine Saloum, une zone humide d’une grande richesse, il y a vraiment dans ce Sénégal que nous avons visité de quoi ravir des naturalistes amateurs de beaux espaces et d’ambiances sauvages.
(1) http://planet-terre.ens-lyon.fr/image-de-la-semaine/Img500-2015-06-15.xml
(2) Lettre d’info d’Alcyon
1 Comment
fontan
super, j’ai pu remarquer un percheur au lieu de pêcheur.