Samedi 16 juillet 2016
Nous quittons Latrabjarg et ses falaises remplies d’oiseaux marins vers 7h30, direction le ferry qui doit nous permettre de rallier la péninsule de Snaefellsmess. Nous arrivons au hameau de Brjanslaekur et de son quai d’embarquement d’où partent les ferrys pour assurer la traversée du Breïdafjordur. Nous prenons notre ticket de l’autre côté de la route dans le petit café (nous avions réservé notre traversée depuis la France, deux mois auparavant car sans ça, plus de place sur le bateau !). Il y a un peu de queue au comptoir mais heureusement nous avons un peu de marge. Après 40 min d’attente, les véhicules entrent dans les cales et nous gagnons le pont supérieur pour prendre position. Les nuages du début de journée ont été chassés et le soleil brille maintenant sans partage. Le fond de l’air est encore frais mais la sensation de légère chaleur est agréable. Le fjord est encore une fois étal, des conditions propices pour la recherche des cétacés. Nous scrutons la mer, observant tantôt des Macareux, tantôt des Mouettes tridactyles ou encore des Guillemots à miroir. Toutefois la présence de très nombreuses iles au travers desquelles nous zigzaguons indiquent que les eaux sont peu profondes, un facteur défavorable … En 3h30 de traversée, pas la moindre dorsale de cétacés !
L’archipel des iles du Breïdafjordur regroupe 2700 iles. A elles seules, elles représentent un quart du linéaire côtier de l’Islande, rien que ça ! Ces iles sont connues pour leurs richesses naturelles. Sur certaines ce sont des Cormorans qui nichent, sur d’autres des Mouettes Tridactyles … Elles sont occupées depuis longtemps par l’Homme à la fois pour le côté mer et leur potentiel dans l’élevage. Une ile en particulier se détache, l’ile de Flatey (ile plate) d’une superficie de 2,8 km2. Ses côtes sont variées allant depuis de petites falaises entrecoupées de baies plus ou moins larges à d’agréables rivages avec pelouses. Le point fort, une vaste étendue d’eau faiblement profonde autour de l’ile et des fonds marins exondés lors de chaque marée. Le marnage atteint ici en moyenne 6 m. Ces conditions font de cette île un petit paradis pour les oiseaux loin de tout prédateur. D’ailleurs, la côte est de l’ile est classée en réserve et durant la saison de reproduction, il est interdit de s’y rendre. Le ferry fait une escale sur Flatey car on y trouve un village constitué d’une centaine de maisons. On dirait que le temps s’est ici arrêté. Pas de voiture et c’est à pieds que l’on part à la découverte des lieux. En cette belle journée, les locaux sont de sortie. Des gamins jouent dans les rues, un match de foot s’est improvisé sur la pelouse près du port et depuis les terrasses des maisons en bois aux multiples couleurs, s’élèvent les odeurs des poissons grillés …
Dès la petite baie derrière le débarcadère, les oiseaux montrent qu’ils sont bien présents. Un petit groupe de Bécasseaux violets se repose, bien dissimulé dans les blocs rocheux. Les brumes de chaleur étant présentes, rien ne sert de tenter une approche, nous les laissons tranquille. Une petite fille pêche en compagnie de son père sur le côté de la baie, et leurs présences ne semblent pas gêner deux Guillemots à miroir. Eux aussi pêchent dans ces eaux poissonneuses. Le sentier qui nous emmène vers le village traverse des milieux de prairies d’où émanent les cris fins et secs des Pipits farlouses. On les entend mais ils sont plus difficiles à voir dans les hautes herbes. Une mare et ce sont nos premiers Phalaropes à bec étroit de l’ile. Pas très farouches non plus, ces deux individus se glissent, après nous avoir laissé le temps de bien les observer, dans la végétation.
A la sortie du village, trois scientifiques s’affairent au pied d’une petite falaise. Nous jetons un coup d’œil, ils sont en train de baguer des jeunes de Fulmars. Nul besoin de matériel d’escalade, la falaise mesure à peine 2,50 m de haut, suffisant ici pour que ces oiseaux pélagiques viennent y nicher et tout ça à moins de 50 m du village ! On commence à trouver cette ile vraiment excellente ! Le sentier longe le littoral.
Sur notre droite, des piquets et des fils barbelés délimitent une parcelle de prairie de fauche où se sont installés les Sternes arctiques et des Chevaliers gambettes. Il y a encore nourrissage chez les sternes et les chevaliers sont encore bien territoriaux. Les jeunes doivent commencer à être grands mais pas suffisamment pour être indépendants.
Nous arrivons très rapidement à un panneau signalant l’entrée dans la zone de réserve. Il est indiqué que l’accès y est interdit jusqu’au 15 juillet. Parfait nous sommes le 16 ! On atteint ainsi une première baie occupée par des Phalaropes à bec étroit.
Nous observons leur manège. Ils chassent en limite de la mer et du rivage, profitant de l’inversion de la marée pour capturer les petits organismes que la présence d’eau fait revivre. Au milieu des bec étroit, un autre phalarope, légèrement plus gros et surtout au magnifique plumage rouge se distingue. Voilà le pourquoi de notre venue sur Flatey. Cette ile est le seul spot divulgué d’Islande où se reproduit le Phalarope à bec large. Cette espèce, de manière générale peu commune, occupe durant la saison de reproduction les marais des toundras des régions arctiques de l’Amérique du nord et de l’Eurasie. Sa population mondiale est estimée entre 1,1 et 2 millions d’individus. Dans le paléarctique, l’espèce est extrêmement localisée puisqu’elle ne se reproduit qu’en trois endroits. En Islande, sur l’archipel du Svalbard et sur l’ile aux Ours (située à mi-distance entre le Svalbard et la Norvège). L’Islande est donc l’option la plus facile pour tenter d’observer cet oiseau dans son magnifique plumage nuptial. La population nicheuse y est estimée entre 180 et 270 individus. Nous nous glissons sur la plage et attendons. Il ne faut pas patienter très longtemps avant que les premiers Phalaropes à bec étroits ne passent devant nous. Sur les territoires de reproduction ces oiseaux sont vraiment très confiants !
Le bec large leur emboite le pas. Il passe une première fois devant nous puis revient et sort de l’eau ! Il a toute la plage de disponible mais non c’est juste là, devant notre objectif qu’il décide de faire sa toilette. Tout simplement génial. La calotte striée et non noire indique qu’il s’agit d’un mâle.
Comme chez le bec étroit, c’est monsieur qui s’occupe de l’élevage de la progéniture, quant à madame, elle a probablement déjà quitté l’ile et entamé son retour vers l’océan. En effet, en dehors de la période de reproduction, le bec large est une espèce marine et pélagique. Ses voies de migration passent par le grand large expliquant qu’il est peu commun de l’observer à l’intérieur des terres. Occasionnellement, il arrive que des vents forts ramènent des oiseaux vers les côtes, c’est alors la seule chance pour l’ornithologue de les observer en dehors des sites de reproduction. En période d’hivernage, les Phalaropes à bec large forment des radeaux que l’on rencontre loin des côtes, au large de l’ouest et du sud-ouest de l’Afrique (il hiverne aussi sur les côtes ouest de l’Amérique du sud) dans des zones d’upwelling. Il se nourrit alors de plancton.
Nous passons un long moment à profiter de cette opportunité que l’on sait assez exceptionnelle. Nous voulons poursuivre le tour de l’ile mais un nouveau panneau nous l’interdit. Il faut attendre le 20 juillet pour passer cette deuxième ligne de réserve. Dommage, ça avait l’air sympa là-bas au fond, d’autant plus que d’autres promeneurs ont fait fi des panneaux d’interdiction …
Nous coupons à travers l’ile (en fait tout au plus 70 m à faire) pour nous retrouver sur la côte opposée. La aussi il n’est pas possible d’aller plus vers l’est, la réserve débute ici. Ce n’est pas bien grave, il y a ici de quoi s’occuper. Sur la berge et dans l’eau de cette baie au cœur de l’ile, les Phalaropes à bec étroit se sont donnés rendez-vous. Pas moins de 312 individus sont présents. Majoritairement des adultes en train de perdre leur plumage nuptial. La reproduction touche presque à sa fin et déjà les premiers rassemblements postnuptiaux ont lieu. Au fond de la baie, nous apercevrons à contre-jour deux autres Phalaropes à bec large. La mer monte et les phalaropes se rapprochent de nous, donnant une nouvelle fois l’occasion de réaliser de bien belles observations.
Le soleil tape fort, les Phalaropes entament une sieste posés sur la grève ou sur de minuscules ilots. Ils sont rejoints durant quelques minutes par une 30aine de Bécasseaux maubèches. Pour eux aussi, la migration postnuptiale a débuté. Nous pique niquons en plein cagnard et faisons à notre tour la sieste. Il fait facile 30°C et cela change des jours précédents ! Notre organisme n’est plus habitué à de telles températures. Vers 16h, nous retournons voir le bec large dans la première baie. Il est toujours là, et se laisse à nouveau photographier.
Un Guillemot à miroir arrive du large et vient se poser sur les rochers voisins, une Sigouine de roche dans le bec. Ni une ni deux, il saute de rochers en rochers et s’enfonce entre deux. Des petits cris s’élève des blocs, il est en train de ravitailler les jeunes au nid. Il refait surface, et prend son envol, la séance de ravitaillement ne fait que commencer. On se positionne pour avoir une bonne lumière, on garde la même distance que lors de sa première venue et l’on attend. Un deuxième, puis un troisième apport s’enchainent.
En y regardant de plus près, les entrées des nids sont marquées par des petites plaques métalliques portant des numéros. Décidément, toutes les espèces d’oiseaux sont bien suivies ici ! Nous faisons quelques photos puis laissons ce couple à son nourrissage. L’heure avance et le départ est prévu pour 17h30. Il y a encore d’autres endroits à visiter et d’autres espèces à découvrir sur cette ile. De retour vers le village, notre oreille est attirée par un chant mélodieux inconnu. Perché sur un gros bloc rocheux, un mâle de Bruant des neiges lance sa strophe. Surprenant d’entendre un chanteur en cette saison et à cette heure de la journée. Photos, films et enregistrements sonores, il aura droit à la complète ! Les Sternes arctiques sont omniprésentes ainsi que les cris des Mouettes tridactyles
Tiens un jeune vient se poser aussi à proximité, le temps de l’observer et de le photographier puis tous les deux s’envolent le long du rivage.
L’ilot en face de nous, où s’est installée une colonie de Mouettes tridactyles, a été envahi par les scientifiques. Le baguage se poursuit. Nous nous rapprochons du port. La petite mare qui ce matin n’accueillait que deux phalaropes est ce soir plus chargée. Ils ne sont pas moins de 30 à se nourrir et à se toiletter tout en poussant de nombreux cris de contact. Encore un très joli spectacle où la proximité de l’enregistrement permet d’entendre les oiseaux battre des ailes lors de leur toilette.
Dernière étape avant le départ, nous repassons aux Bécasseaux violets. Ils sont toujours là et la lumière plus jolie que ce matin. Le reposoir s’est même étoffé puisqu’ils sont eux aussi 30. Bercés par les cris des Pipits farlouses, nous profitons des derniers instants sur l’ile. Tiens un Phoque gris fait une brève apparition !
Un enregistrement des cris du Pipit farlouse et sur la fin les cris d’envol des Bécasseaux violets
Au bilan, Flatey est une escale que nous ne regretterons d’avoir faite. Elle est une excellente illustration de la cohabitation entre l’Homme et les oiseaux. Le ferry accoste, nous embarquons à bord.
En quittant l’ile, le bateau longe des portions de l’ile que nous n’avons pas visitées. Nous découvrons de nouvelles espèces telles les Oies rieuses et les Macareux. En une journée, nous n’avons pas totalement exploité le potentiel de cette ile. Une bonne occasion pour y revenir !
2h30 de traversée nous attendent jusqu’à Stykkisholmur. Les oiseaux sont bien présents mais pas le moindre aileron de cétacés. Ce fjord n’est pas le meilleur que nous ayons vu depuis le début de notre séjour pour les mammifères marins.
Nous récupérons les clés de notre voiture à bord du bateau, car ce sont les marins qui se sont chargés de la débarquer lors de la première traversée. Sagement stationnée sur une des places du port, elle attendait notre retour. Après la chaleur de la journée, la fraicheur du soir se fait sentir. Nous sommes bien fatigués, aussi optons-nous pour un repas au restaurant. Nous n’avons pas envie de manger ce soir au froid. Il y aura du poisson au menu. La soupe est excellente, le poisson plutôt bon et la note assez salée… mais on le savait c’est l’Islande ! La nuit se fera au camping de la ville qui est, de manière surprenante, blindé ! A vu d’œil, nous dirions environ mille véhicules. Le camping est cher et il n’y a seulement que deux douches de disponibles pour les milliers de personnes présentes … Le comble, elles sont en plein air… on passe notre tour, il fait trop froid pour une douche de minuit. Camping à déconseiller car en plus il sera bruyant !