Mercredi 23 décembre 2015
Ce matin, c’est avec le chant des engoulevents que nous nous levons. Depuis deux jours, on se demande à quelle espèce peut-il appartenir. Le chant ressemble à celui de l’Engoulevent d’Europe mais il manque la modulation caractéristique qui intervient forcément à un moment donné dans le ronronnement. Nous en observons un furtivement passer dans le ciel alors qu’il fait encore sombre. Passage devant l’entrée du parc et comme les jours précédents, les Dendrocygnes s’agglutinent sur le point d’eau. Il y a aujourd’hui quelques Spatules blanches qui sommeillent. Le programme du jour consiste à repasser sur les mêmes spots que les jours précédents et de saisir les opportunités photographiques. C’est notre dernière journée dans le parc et maintenant que l’on connait un peu le site, on peut consacrer un peu plus de temps à de la photo. Dès les premières centaines de mètres sur la première piste, des cris de Chacals nous interpellent. Ils sont au moins deux quelque part au nord de notre position. Distance estimée, 300- 400m. Nous coupons le contact et patientons de longues minutes mais nous n’aurons pas la chance d’en apercevoir un passer à travers le rideau de végétation. Des arrêts de ci delà au gré des rencontres. Le chant d’un Agrobate roux, l’envol d’une Tourterelle maillée, ou bien ces magnifiques Guêpiers de Perse posés sur des tiges au ras du sol. La lumière commence à être belle, les oiseaux peu craintifs se laissent photographier. Les adultes ont un plumage abimé, beaucoup de plumes sont usées et de nouvelles commencent à apparaitre. La mue est en cours. Les jeunes arborent un plumage encore neuf reconnaissable au vert moins intense que celui des adultes et aux liserés des couvertures alaires plus clairs donnant une impression de « dos » délicatement écaillé. Si l’on ajoute les petits cris de contact qu’ils poussent régulièrement, on obtient une peinture de cette ambiance d’un matin dans le Parc du Djoudj.
Décidément ces tiges offrent d’excellents perchoirs, car à présent c’est un Cochevis huppé qui en profite.
Une Grue couronnée nous survole, elle vient probablement de quitter son dortoir et file vers ses zones d’alimentation suivi peu de temps après par un juvénile de Busard des roseaux. Cette dernière espèce aussi passe la nuit dans un dortoir. Au sol, habituellement dans des zones de roselières sèches et parfois en compagnie d’une autre espèce de busard, le Busard cendré.
Arrêt au niveau du premier observatoire où chantent des Tourterelles pleureuses.
Un petit groupe de Spatules blanches, des jeunes en plumage de 1er hiver, rejoignent aussi les marigots afin de s’alimenter.
Du mouvement dans les buissons autour de nous, ce sont des Tisserins vitellins. Ils se nourrissent discrètement de baies.
Depuis l’observatoire, le marigot semble calme, seul un Alcyon pie monte la garde du haut de son perchoir.
Au deuxième observatoire, les canards sont encore présents en nombre. Ils sont loin et chaque passage d’un Balbuzard ou d’un Busard des roseaux sème la panique. C’est un beau spectacle auquel nous assistons. Un petit groupe de 4 Colious huppés vient se percher dans les derniers arbrisseaux de Salvadora avant le lac. Une fois à l’intérieur, ils deviennent très difficiles à distinguer malgré leur nuque bleue-turquoise.
Nous décidons de ne pas poursuivre vers les deux derniers observatoires et faisons demi-tour pour rejoindre la digue principale. Des Hirondelles de rivage se sont rassemblées au sol et passent facilement inaperçues avec leur plumage couleur sable.
Au passage de la zone de roselière, qui hier hébergée quelques Blongios nains, une forme traverse la piste. C’est un mammifère, presque un mètre cinquante de long dont une grande partie pour une queue quasi glabre terminée par une panicule de poils noirs. Le corps est complètement aplati, il rampe et s’enfonce dans la végétation. Nous restons circonspects. Nous avançons pour tenter de mieux l’observer. On devine l’animal à travers les branchages et les roseaux puis il disparait laissant derrière lui une trace sur le sol sableux. C’est une mangouste, et avec une telle taille, une ichneumon. Nous ne pensions pas qu’elle pouvait atteindre de telles dimensions ! Le Djoudj est vraiment une zone naturelle qui regorge de vie, où tout prospecteur qui sait être patient est récompensé.
Une fois de retour sur la piste principale, nous prenons le temps d’observer les associations de limicoles. Combattants, Barges à queue noire, Chevaliers sylvains, culblancs et aboyeurs se partagent les mêmes mares. Nous recherchons plus particulièrement le Chevalier stagnatile, une espèce peu commune, bien qu’annuelle lors de sa migration en Provence. Nous avons donc ici l’occasion de nous familiariser avec ce chevalier qui se reproduit dans le sud de la Russie et dont les sites de reproduction les plus occidentaux se trouvent en Ukraine et en Moldavie. Nous sommes surpris de l’observer plusieurs fois par jour dans le Djoudj. Pas de concentration d’oiseaux chez cette espèce mais des observations d’individus isolés. Au final, il s’avère être plus courant que le Chevalier aboyeur, espèce plus classique en Europe de l’Ouest. La lumière étant un peu dure pour la photo, nous poursuivons lentement notre avancée.
Un petit rallidé apparait au pied de scirpes. Si jusqu’à maintenant, c’est uniquement du Râle à bec jaune que nous avons contacté, cette fois, c’est une nouvelle espèce. Nous avons de la chance, il s’agit d’une marouette et pas n’importe laquelle, une Marouette de Baillon, un petit Graal pour de nombreux ornithos français ! Plus de 20 ans d’ornithologie en Provence et jamais cette espèce n’est passée dans le champ de nos jumelles. Pourtant, ce n’est pas faute d’y avoir consacré du temps. Nous en avons passé des heures au bord de la Durance et dans les environs d’Hyères à scruter le pied des roseaux en ces mois de mars et avril, période où elles passent chez nous. Si les Marouettes poussin et ponctuée sont classiques, la Marouette de Baillon, dont l’aire de reproduction est plus orientale, ne fait que rarement halte en France. Sa principale zone d’hivernage se situe dans l’est et le sud de l’Afrique. De manière secondaire, quelques petits ilots de présence existent le long du Sahel et le Djoudj en fait partie. Comme les autres marouettes, c’est principalement le matin et en fin de journée que l’on a le plus de chance de l’observer. Il est presque 10h aujourd’hui et elle est encore active malgré la chaleur qui s’installe. Son plumage indique que c’est un jeune de l’année. Se sentant découvert, son inquiétude est trahie par les hochements de l’arrière du corps. Il fait un tour sur lui-même puis trouve refuge définitivement à l’intérieur de la végétation.
Nous prenons la piste en direction de Gainth. Dans cette zone de brousse ouverte, nous cherchons à revoir le Busard cendré qui chassait hier ici. Le contrejour et les brumes de chaleur ne nous avaient pas permis de faire une belle observation. Pas de busard, mais à la place un Balbuzard pêcheur perché sur un petit monticule à même le sol. Son poisson du jour capturé et dévoré, il lézarde à présent pour de longues heures. Il y a sur les rives de ce fleuve Sénégal, de belles densités de ce rapace piscivore. Nous aurons la chance de croiser entre 10 et 15 oiseaux différents par jour, synonymes d’une grande richesse halieutique de ces marais et lacs. Venant de France, d’Ecosse, d’Allemagne, de Finlande … les adultes trouvent ici des conditions idéales pour passer l’hiver, quant aux jeunes, ils y resteront parfois quelques années avant de revenir se reproduire au bord d’un lac des forêts suédoises.
Nous arrivons au premier observatoire. Deux Guêpiers nains nous y attendent poussant leurs cris caractéristiques. Nous sortons de la voiture sans que cela ne les effarouche. Tentative d’approche à moitié camouflé par un buisson. Pas de doute, ils sont coopératifs. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut photographier des guêpiers sans affut, juste à l’approche.
Les Fauvettes passerinettes sont encore bien présentes et puisque la chance nous sourit pourquoi ne pas essayer d’avoir une photo de ce magnifique passereau sur ses quartiers d’hiver. Une chanteuse se tient à proximité, nous tentons un petit affût mais malgré notre attente elle restera enfouie dans son tamaris. Heureusement, il y a souvent une récompense pour tout effort, cette fois-ci c’est un Pririt du Sénégal aux couleurs pie qui viendra se poser sur les branches du buisson sec devant nous.
Nous jetons quand même un coup d’œil depuis l’observatoire. Un pélican, aux teintes grisâtres, posé au sommet d’un arbre au milieu du marigot nous intrigue. Les brumes de chaleur commencent à apparaitre et malgré la distance nous l’identifions, c’est un Pélican gris. Une coche !
En route vers Gainth, nous croisons à nouveau le chemin des Guêpiers de Perse. C’est la bonne heure pour eux, heure à laquelle les insectes volent près du sol. Posés sur des mottes, cailloux ou à même le sol, les guêpiers s’élancent dans une rapide course-poursuite létale habituellement pour l’insecte. Le taux de captures est impressionnant !
Enfin nous atteignons le lac de Gainth et sa fraicheur. Les Pouillots véloces sont toujours là. Il est remarquable de constater la prédilection de cette espèce pour cet habitat. Dans les buissons et les petites forêts qui parsèment le Djoudj, nous n’avons que peu contacté ce petit passereau. A Gainth, le mélange d’essences et la maturité des arbres offrent certainement des conditions propices pour toute une entomofaune. Une cigogne blanche bien solitaire traverse le ciel bleu tandis que sur l’horizon se succèdent des vols de Pélicans blancs. On ne doit pas être très loin de l’ilot où ils se reproduisent.
Au milieu des nénuphars des Cormorans à poitrine blanche remontent à la surface après une immersion pêcheuse, faisant fuir des Jacanas à poitrine dorée et … une Talève d’Allen.
Ah enfin, nous parvenons à l’observer. Nos voyages africains ces deux dernières années se sont tous soldés par un échec. Introuvable en Namibie, introuvable au Botswana, il aura fallu attendre le Sénégal pour y tomber dessus. Cette espèce strictement africaine est rarement observée dans le Paléarctique (10 obs au Maroc, quelques une en Espagne, 4 en France…) autant dire que les chances de l’observer en Europe sont maigres. La dernière donnée française datant de janvier 1991. Nous n’aurons pas le temps de profiter longtemps de cette observation, elle s’envole après quelques pas d’élan vers les tamaris où se concentrent les Hérons bihoreaux.
Un singe patas fait une brève apparition dans les arbres en face de nous, obligeant hérons crabiers et bihoreaux à se lever du milieu.
Après le repas, nous prospectons les bois environnants. Peu d’oiseaux, si ce n’est un Martin pêcheur huppé et de très nombreux bihoreaux. Bien dissimulés dans les tamaris, les hérons y passent toute la journée, attendant la tombée de la nuit pour partir en chasse au bord des marigots.
Un oiseau décolle rapidement à 3 mètres devant nos pas. Un engoulevent … mais lequel ? Selon notre guide on trouve plusieurs espèces en période hivernale. Des espèces connues comme l’Engoulevent d’Europe, à collier roux ou du désert et des inconnues comme l’Engoulevent doré, terne ou à balanciers. Notre oiseau s’est reposé plusieurs dizaines de mètres plus loin. Nous parvenons à le retrouver au milieu des branchages où il se confond parfaitement avec son environnement.
Son œil noir nous surveille et dès que nous nous installons pour l’observer il redécolle et se repose derrière nous. Deux critères nous ont sautés aux yeux. Une longue queue et un bord de fuite des secondaires blanc. Le seul oiseau qui correspond à ces critères est l’Engoulevent à longue queue, normalement présent au Djoudj uniquement en période estivale. Maintenant qu’il est posé à découvert, nous l’observons attentivement, il n’y a pas de doute, c’est un longue queue. Y aurait-il une erreur sur les cartes de répartition ?
Alors que nous sortons du petit bois, l’Aigle de Bonelli de la veille fait un passage rapide au dessus de la cime des arbres. En voila un qui a trouvé une zone de chasse favorable.
Nous rebroussons chemin et croisons un petit troupeau de Zébus. Que font-ils dans cette zone protégée ? En provenance des villages voisins, ces bovins laissés en divagation contribuent à la modification des habitats en exerçant une pression de pâturage préjudiciable. L’empreinte de l’Homme est partout y compris dans les sanctuaires comme le Djoudj. Historiquement, avant 1970, ces milieux étaient des terrains traditionnels de pâture pour les ethnies locales desquels ils ont été expulsés. Les herbivores sauvages ayant disparus depuis longtemps de ce territoire, leur mise en protection offre une possibilité de recolonisation pour des espèces de gazelles en provenance notamment de la Mauritanie voisine. Y a-t’il des gazelles dans le parc ? Régulièrement, occasionnellement ? La présence d’un pâturage d’animaux domestiques n’est pas de bon augure.
Nous repassons sur le secteur à Marouette de Baillon mais sans succès. A la place du rallidé, un crocodile s’insole sur le rivage du marigot de Khar. Ils ne sont donc pas tous uniquement dans le marigot du Djoudj, ce bras mort du fleuve Sénégal que nous avons parcouru hier en pirogue. Il doit probablement être présent aussi dans le lac de Gainth, là où nous avons apprécié pique-niquer au bord de l’eau …
La lumière, meilleure à présent que ce matin, nous donne l’occasion de photographier nos chevaliers. Au milieu des stagnatiles, guignettes et autres aboyeurs, se sont glissés une Echasse blanche et un Bécasseau cocorli.
Pour terminer la journée, nous décidons de partir prospecter le secteur où nous avons observé le Chacal du Sénégal. Les kilomètres s’enchainent lentement sans trouver la moindre trace de présence du canidé. Alors que le soleil est bas sur l’horizon, deux Grues couronnées passent en vol, effectuant le chemin en sens inverse de celui de ce matin pour rejoindre leur dortoir. Ce n’est que sur le retour, juste avant de sortir du parc que nous croisons deux chacals s’éloignant dans la brousse. Trop tard, plus assez de lumière pour faire une photo digne de ce nom.
Alors que l’on déguste notre repas au camp, l’habituel Engoulevent se met à chanter au faîte d’un arbre. Petit coup de lampe, l’oiseau décolle et sa queue parait longue. Demain, dès les premières lueurs, il faudra vérifier à quelle espèce il appartient. Ce sera notre dernière chance car dans la matinée, nous quittons le Djoudj.
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