Lundi 18 juillet

La côte rocheuse près du petit port de pêche d’Arnarstapi est particulièrement intéressante. Elle résulte de l’activité volcanique du volcan Snaefellsness au pied duquel elle se trouve. Les épanchements basaltiques résultant des éruptions successives ont formé des couches de lave qui, au cours des millénaires, ont subi les assauts des puissantes vagues de l’Atlantique. Cette confrontation de la mer et de la roche  a donné naissance à une côte déchiquetée aux reliefs parfois surprenants.  De superbes orgues  et des rosaces basaltiques s’étirent près de Stapafell, on y trouve aussi des cavernes et des roches trouées comme l’arche de « Gatklettur ». Lovées au pied de ces falaises, de petites plages de sables noirs se sont formées dans les criques inaccessibles.

Côte déchiquetée de la péninsule de Snaefellsness
Côte déchiquetée de la péninsule de Snaefellsness
Falaise côtière constituée de roches basaltiques
Falaise côtière constituée de roches basaltiques
L'arche de Gatklettur, paysage façonné par l'érosion marine
L’arche de Gatklettur, paysage façonné par l’érosion marine

Dès que l’on tourne son regard vers les terres, on ne peut être qu’impressionné par l’imposant volcan Snaefellsness, dominant du haut de ses 1448m la péninsule. Ses flancs sont couverts de cônes pyroclastiques aux couleurs variant du vert au violet et son sommet est recouvert d’une calotte glaciaire permanente. Souvent dans les nuages, les occasions de voir le sommet dégagé sont rares. Nous sommes chanceux aujourd’hui.

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champ de lave au pied du volcan Snaefellsness

Ce volcan de type explosif a la particularité de produire des laves de natures différentes selon que les éruptions se produisent vers la base du volcan ou plus en altitude. Âgé d’environ 700 000 ans, le volcan a connu de nombreuses éruptions, la dernière datant de 200 après JC. Issue du sommet, elle a libéré 110 000 000 m3 de laves.

On trouve entre le Snaefellsness et la côte une montagne sombre de forme pyramidale, le mont Stapafell. Il s’élève seul au milieu de la maigre plaine côtière et projette son ombre sur le village d’Arnarstapi, qui sera le point final de notre balade du jour.

Stapafell
Stapafell

C’est du nord que nous attaquons notre rando, mais avant, petit déjeuner sur le parking du hameau d’Hellnar. Il est encore tôt et le parking est désert. Le café est en préparation et pendant ce temps, nous spottons en mer. Il y a un peu de mouvement avec notamment des petits groupes d’alcidés qui effectuent des va-et-vient, des Fous de Bassan et des Mouettes tridactyles. La lumière est assez faible en raison de la couche de nuages, aussi la limite entre la mer et les montagnes menant vers Reykjavik est indécise. Dans la baie s’étirant devant nous, nous repérons aux jumelles des formes noires apparaissant par intermittence, mais elles sont bien lointaines. Nous positionnons la longue-vue et scannons le secteur. Après quelques instants, les formes sont de nouveau visibles. On distingue des ailerons, ce sont des cétacés. Les ailerons falciformes, la taille réduite et l’embonpoint des animaux nous aiguillent vers des dauphins. Ils sont en pleine partie de chasse, alternant de courtes phases de déplacement lent suivies d’accélérations fulgurantes. Certains bondissent même hors de l’eau nous permettant de voir la peau bicolore des animaux et la zone claire autour du bec. Nous sommes aux anges devant un tel spectacle et identifions des lagénorhynques à bec blanc. Après 20 minutes, d’observation, c’est froid que le café est consommé. Les 11 Lagénorhynques sont toujours dans les parages mais ils se sont légèrement éloignés. Sac à dos sur les épaules, nous les laissons et c’est parti pour la rando. Le début se fait sur des caillebotis puis très vite le sentier se rétrécit et s’enfonce dans un champ de lave. Nous slalomons entre les  blocs de lave qui s’élèvent de plusieurs mètres par endroit au dessus de nos têtes. Dès que possible, nous empruntons les sentiers filant vers les falaises. Nous sommes comme attirés par la vue sur la mer, la présence des Lagénorhynques n’y est pas étrangère. Un tour d’horizon et plus de trace des Dauphins. Nous revenons sur le chemin principal et après 400m, nous croisons un couple d’Espagnols. Ils discutent entre eux et nous comprenons ces quelques mots « Créo que he visto una ballena ». Tiens, une baleine, ça nous intéresse  ça ! On demande vers où, et l’on observe. Fausse alerte, c’est un récif au large qui affleure au gré des vagues. Un sentier permet d’accéder à un promontoire, un poste idéal d’observation pour surveiller l’océan. Nous repérons de nouveau nos cétacés, ils font route vers le nord-est, parallèle à la côte. Alors que l’on annonce Lagénorhynque, il y a durant la même fraction de seconde l’apparition d’un doute dans nos esprits. Tiens l’aileron est bizarre, il n’a pas la même forme que tout à l’heure ! En plus les deux animaux paraissent plus gros. L’avant de l’aileron est incliné vers l’arrière tandis que l’arrière est plus vertical, cette structure d’aileron est typique … des Orques épaulards.

Deux Orques épaulards non loin de la côte
Deux Orques épaulards non loin de la côte d’Arnarstapi

On comprend mieux à présent la disparition des Lagénorhynques que nous ne parviendrons pas à retrouver. L’approche des supers prédateurs des océans que sont les baleines tueuses ne laissent guère de choix que la fuite en catimini. Même si les Orques d’Islande sont principalement piscivores, à l’occasion, un mammifère marin peut s’ajouter au menu ! Les orques sont présentes toutes au long de l’année dans les eaux islandaises. Les cartes de répartition de l’espèce indiquent une fréquentation accrue de la côte occidentale de l’île. La péninsule de Snaefellsness, au large de la ville d’Akranes, la côte sud de la péninsule de Reykjanes et les environs des îles Vestmann sont les principales zones où il est possible de les apercevoir. Au nord de l’Islande, c’est du côté de la baie d’Husavik qu’il faudra les chercher. Le monde des Orques n’est étudié que depuis une trentaine d’années, et l’on se rend compte que l’on ne sait pas grand chose sur ces animaux mystérieux. Les études comportementales ont permis de distinguer trois types de communauté:

  • Les Orques résidentes ou sédentaires, ce sont celles qui ont choisi de hanter tout au long de l’année les eaux côtières d’un secteur particulier. Les pods peuvent alors atteindre une cinquantaine d’individus et leur régime est principalement tourné vers le poisson (certains sont spécialisés dans la capture des espèces de Saumons les plus grasses !). Ce sont ces pods qui sont connus pour avoir une « culture » la plus évoluée avec un répertoire acoustique distinct des autres pods. Les Orques résidentes les plus connues sont celles que l’on rencontre dans les eaux de Colombie-Britannique.
  •  Les Orques nomades, sans cesse en déplacement, exploitent les ressources là elles se trouvent. Les pods sont peu nombreux, comptant de 2 à 7 individus (souvent une femelle accompagnée de deux de ses jeunes). Ce sont de redoutables prédateurs qui s’attaquent et se nourrissent de mammifères marins (baleines, dauphins, otaries, phoques). Opportunistes, Ils ne négligent pas un oiseau marin, une tortue ou un requin (y compris le grand Requin blanc). Le cas le plus connu est celui des Orques de la péninsule de Valdez en Patagonie.
  • Les Orques hauturières sont les moins connues. Elles s’organisent en pods nombreux, pouvant atteindre les 60 individus. Elles se nourrissent de poissons et suivent la migration de leurs proies. Dans la mer du nord, les Orques se sont spécialisées et suivent les flottes de bateaux de pêche. Ce n’est que lorsque le chalut est remonté qu’elles apparaissent pour se nourrir des poissons qui parviennent à s’échapper. Dans la mer de Béring, un pod à suivi un chalutier durant 31 jours couvrant ainsi une distance de 1600 km.

Les Orques séjournant dans les eaux islandaises présentent des caractéristiques de la communauté des résidentes mais aussi des hauturières. Si certaines Orques passent toute l’année dans les eaux islandaises (elles estivent du côté des îles Vestmann), le suivi des effectifs montre des fluctuations trahissant des mouvements en son sein. C’est entre les mois de novembre et d’avril puis dans une moindre mesure entre avril et de juin que les effectifs culminent. Le début de l’hiver correspond à l’arrivée des Harengs, proie de prédilection des orques. Les dernières années, ce sont les eaux de la péninsule de Snaefellsness que les harengs ont choisi pour hiverner, les Orques aussi ! Les programmes de suivi mis en place ont permis d’établir un catalogue d’environ 300 ind, mais ils sont bien plus nombreux. La zone couvrant l’Islande jusqu’aux Iles Féroé hébergerait une population d’environ 6 600 ind.

Les eaux norvégiennes accueillent aussi une importante population de ces mammifères marins, en lien ici avec les zones de frai des Harengs. Les Harengs se réfugiant dans les fjords durant l’hiver, ils sont suivis par les Orques. Plus au nord du pays, l’apparition soudaine des Orques coïncide avec la migration des capelans et des Morues en fin d’hiver et au début du printemps. Parmi les Orques identifiées durant l’hiver dans les eaux norvégiennes, une partie  provient de la population islandaise, démontrant des mouvements entre les deux populations. Lorsqu’en janvier les Harengs quittent les environs des Lofoten pour filer 700 km plus au sud, les Orques suivent. Les mouvements saisonniers d’une autre espèce de poisson-proie, le Maquereau amène les Orques islandais dans les eaux Ecossaises. Un minimum de 7 Orques islandais ont dans leurs habitudes d’aller passer l’été en Ecosse. Ils arrivent début juin, période qui correspond à la mise bas des phoques …

Les trois individus que nous observons ne sont pas de grande taille. Les ailerons qui sortent de manière irrégulière ne sont pas très hauts. Certainement des immatures ou des femelles. Seuls les mâles possèdent un imposant aileron dorsal pouvant atteindre chez certains 1,8 m de haut. A travers le monde, il existe dix écotypes d’Orques se distinguant par leur taille, la couleur de la peau, les formes des tâches blanches et leur couleur plus ou moins sable, leurs mœurs … 5 sont présents dans l’hémisphère nord et ceux fréquentant les eaux islandaises appartiennent soit au type 1 soit au type 2 de l’Atlantique nord-est. Les types 1 sont assez petits, les mâles atteignant seulement les 6,6m et sont spécialisés dans la capture des harengs et des maquereaux. Le type 2 reconnu récemment présente une tache blanche en arrière de l’œil formant une vague. Les mâles peuvent atteindre les 8,5 m et eux sont spécialisés dans la capture des cétacés, notamment les Petits Rorquals. Cet écotype est le deuxième plus grand, derrière l’Orque de type A de l’Antarctique.

Nos Orques se déplacent lentement, certainement en repérage dans ces eaux peu profondes. Habituellement, ils chassent tôt le matin, longeant les reliefs des hauts fonds pour surprendre les proies. Lorsque le banc de harengs est repéré, les orques lui foncent dessus de manière désordonnée forçant le banc à éclater en petits groupes. Les proies deviennent alors plus faciles à capturer. Une séquence filmée par un drone dans les eaux norvégiennes illustre parfaitement cette technique de chasse (https://fr-fr.facebook.com/norwegianorcasurvey/).

Inexorablement, ils s’éloignent, un temps trois, ils ne sont à présent plus que deux, nous avons perdu en cours de route le troisième individu.

Aux anges après cette observation, nous reprenons le sentier côtier. Les falaises de basaltes se chargent petit à petit en oiseaux marins, nous arrivons sur la colonie. Bien moins impressionnante que celle de Latrabjarg, les effectifs n’ont ici rien à voir. Elle n’en demeure pas moins intéressante à visiter. Un millier de Mouettes tridactyles braillardes, 300 Fulmars, 15 Cormorans huppés et quelques couples d’Alcidés se partagent les vires rocheuses. Deux espèces de Goélands ont aussi choisi les petites iles justes devant la falaise pour installer leur nid. Les jeunes en cette mi-juillet sont proches de l’envol. Leur plumage juvénile est complet. Ils occupent leur temps en s’entrainant à fortifier les muscles pectoraux. Une plume transportée par le vent devient une occasion de jeu pour deux jeunes Goélands marins.

Goéland marin juvénile s'amusant avec une plume
Goéland marin juvénile s’amusant avec une plume

Sur l’éperon rocheux voisin, deux jeunes Goélands bourgmestres patientent tranquillement, sous l’œil vigilent des parents.  C’est la première fois durant notre voyage que nous les approchons de si près, et l’occasion d’effectuer quelques enregistrements sonores.

Adulte de Goélands bourgmestre accompagné de ses deux jeunes quasiment volants
Adulte de Goéland bourgmestre accompagné de ses deux jeunes quasiment volants
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Goéland bourgmestre adulte en plumage d’été

Au pied de la falaise, un mâle d’Arlequin plongeur nage discrètement entre deux îlots. Son plumage bleu foncée est parfaitement mimétique dans les eaux islandaises et il le devient encore plus lorsque l’oiseau sort de l’eau et se repose dans les algues mises à nu par la marée basse. L’observation depuis les hauteurs des falaises permet aussi de repérer un autre mammifère marin, c’est un Phoque gris, enchainant les apnées, il disparait très vite dans la petite baie voisine. La fin de la balade nous emmène près du village d’Arnarstapi où quantité de Sternes arctiques ont élu domicile. Suite à un dérangement, toute la colonie s’envole et c’est une clameur provenant de plus d’un millier d’oiseaux qui se fait entendre. La matinée est bien entamée, nous rebroussons chemin, retour vers le parking d’Hellnar où nous avons laissé la voiture. Celle-ci n’est plus seule, elle est à présent entourée de nombreuses autres voitures et de cars. Trop de monde pour nous, il est temps de partir. Une balade facile et à conseiller pour la richesse des observations.

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