Mardi 29 décembre
6h30, c’était un peu tôt, car le soleil n’est pas encore levé. Heureusement que nous avons réajusté à 7h30 pour notre rendez vous matinal. Nous sommes à l’heure sur les bords du fleuve Sine Saloum alors que le village de Ndangane se réveille. Il faut patienter quelques minutes avant l’arrivée de notre piroguier ce que nous faisons en observant un couple de Souimanga à longue queue. Finalement ce n’est pas le gars avec qui nous avons négocié hier qui nous guidera mais son frère … (Nous avons beau ouvrir les yeux, nous ne voyons d’air de famille …) accompagné de son padawan, un jeune garçon d’environ treize ans. Bref, on paye le complément pour la journée (soit 55 euros en tout), ils se chargent d’aller chercher l’essence pour le moteur de la pirogue et vers 8 heures, nous sommes installés, prêts pour une superbe journée. Au programme, un long tour à travers les bolongs, ce dédale de chenaux ceinturant les nombreuses iles basses au milieu des 180 000 hectares du delta du Sine Saloum. De Ndangane, nous filerons vers la pointe de Djiffer située à l’embouchure du fleuve avant de remonter par l’intérieur du Delta en contournant l’ile de Mar lodge soit environ 10 heures de pirogue.
La lumière est belle ce matin et lorsque l’on longe les premiers bancs de limons affleurant où se reposent de nombreux oiseaux, nous en prenons plein les yeux. Des Goélands railleurs se sont rassemblés ici en compagnie de Sternes caspiennes. Les goélands sont en voix et l’on comprend d’où provient leur nom de railleurs. Pas vraiment farouches, nous effectuons deux passages pour d’une part les photographier et d’autre part, tenter de faire des lectures de bagues. Même si nos oiseaux français hivernent essentiellement en Méditerranée, il n’est pas impossible que quelques individus aient pu rejoindre la côte atlantique en compagnie d’oiseaux espagnols et d’oiseaux sénégalais. Nous trouvons bien deux oiseaux bagués mais nous ne parviendrons pas à lire les bagues. Sur la vasière suivante, des Mouettes à tête grise se sont jointes aux Aigrettes des récifs et aux Pélicans gris.
Nous descendons lentement le fleuve, des Cormorans africains s’envolent des palétuviers, ces arbres amphibies capables de se développer à la fois les racines dans l’eau et de supporter des phases d’à secs. Pour pouvoir croître dans cet écosystème littoral où les contraintes environnementales sont difficiles, l’espèce a dû développer des adaptations physiologiques afin de pourvoir notamment résister à la présence de sel. Pression osmotique élevée, glandes excrétrices de sel, revêtement des feuilles épais limitant l’évapotranspiration, tout est fait pour que le végétal puisse conserver aux maximum l’eau douce et expulser le sel. Le palétuvier est à la base de cet écosystème de mangrove, un milieu riche en espèces de poissons pour lesquels il sert de nurserie, de site de nourrissage, de refuge… Les oiseaux sont aussi bien représentés avec de nombreuses espèces piscivores appartenant aux groupes des sternes, des pélicans, des ardéidés …
Les sédiments fluviatiles transportés se déposent dans le delta donnant des hauts fonds dans certains bolongs qu’il convient de connaitre afin éviter de s’y échouer. A marée basse, Ces hauts fonds sont exondés et servent de reposoirs à différentes espèces d’oiseaux en leur offrant la tranquillité nécessaire. D’autres les colonisent afin de profiter de la manne alimentaire. Les sédiments gorgés d’eau accueillent une importante malacofaune et de belles densités d’annelides. Espèce prédatrice par excellente de ces deux groupes d’invertébrés, le Courlis corlieu que l’on voit déambuler, sondant de son long bec les sédiments à la recherche de ses proies.
Sur les bords des bolongs, au pied des palétuviers, ces mêmes oiseaux recherchent les crabes violonistes. Dans une petite anse, un imposant Héron goliath se tient à l’agachon. Il sait se montrer patient et attendre qu’un imprudent poisson passe à proximité. Le passage de notre pirogue ne semble pas le déranger, ici l’espèce semble bien moins craintive qu’en d’autres terres africaines…
Nous en croiserons 5 autres durant la balade.
Rencontre avec un groupe lâche de Sternes caspiennes rejoignant un reposoir. Les adultes sont pour certains encore accompagnés de leur jeune de l’été dernier. Plus loin encore un groupe de Goélands railleurs et surprise, au milieu, se trouve un Goéland d’Audouin, un bel adulte qui ne tarde pas à s’envoler. Cette espèce atteint quasiment ici sa limite sud d’hivernage sur le littoral atlantique.
Dans cette portion reculée du delta, les racines aériennes des palétuviers sont colonisées par des huîtres. Près des villages, la pression de cueillette, réalisée par les femmes, est à l’origine d’une régression des effectifs et met en danger cette espèce. Consommée séchée ou bouillie, il faut donc du bois et c’est celui des palétuviers qui est utilisé, mettant en péril l’hôte de l’huître. Des projets en partenariat avec des ostréiculteurs français ont été mis en place récemment afin de tenter d’orienter les populations vers l’élevage plutôt que la cueillette. Une chance pour la sauvegarde de cet écosystème de mangrove.
Un vol de Pélicans gris, d’autres posés sur l’eau, le delta accueille une population reproductrice d’environ 4000 couples. En période hivernale, l’espèce est dispersée et sur le delta, nous n’en verrons que quelques dizaines.
Vers 10h, nous mettons le pied sur le sable de la plage du village de Djiffer. Devant nous, alignées les unes à côtés des autres, les pirogues colorés des pêcheurs qui aujourd’hui ne sont pas partis en mer. A peine amarrés, qu’un gars vient nous voir pour nous faire payer le stationnement de notre pirogue sur la plage … même ici, on n’est pas tranquille. Nous ne sommes pas directement concernés, c’est notre piroguier qui gère mais cela donne l’impression que chacun cherche à tirer profit de la présence de touristes en instaurant des taxes … sous les yeux amusés de Mouettes à tête grise.
Une forte odeur règne sur la plage. Dès que l’on s’enfonce derrière les pirogues, on comprend l’origine. Sur des étals, en plein soleil, sèchent poissons divers et mollusques. Un en particulier, le yet ou « camembert de mer » répondant au nom latin de Cymbium olla. Une fois la coquille cassée, le mollusque est enfoui plusieurs jours dans le sable pour faisander avant d’être lavé à l’eau de mer puis exposé au soleil afin de sécher soit en en entier soit découpé. Il possède une odeur assez forte et tient une place importante dans la cuisine sénégalaise, notamment dans le thiéboudiène, plat national par excellence qu’il parfume et relève … Les quantités pêchées de ce mollusque sont assez impressionnantes quand on regarde les monticules de coquilles qui s’amoncellent sur l’arrière plage.
Si nous avons fait un arrêt ici, ce n’est pas pour faire la visite du séchoir de Djiffer, quoique très instructive. Nous attendons le retour des pêcheurs afin d’acheter du poisson frais et non pas celui qui est stocké depuis plusieurs jours dans de vieux congélateurs qui ne sont même pas branchés … Pendant notre attente sur la plage, nous profitons du ballet des Sternes royales qui font d’incessants allers-retours le long du rivage, attendant que les entrailles des poissons fraîchement arrivés soient jetées à la mer. Malheureusement pour nous, elles sont à contre-jour.
Nos 3 Barracudas achetés, nous reprenons le large. Le vent s’est levé et les vagues aussi. Nous prenons des projections d’eau et juste avant de rentrer le matos photo, un balbuzard pêcheur transportant son poisson nous survole.
Notre piroguier nous indique deux îles en limite du delta et de l’océan. Il y a quelques années, elles n’étaient pas des îles mais constituaient l’extrémité sableuse de l’isthme de Djiffer. Les assauts de l’océan lors d’une tempête ont eu raison de ce fragile cordon sableux en ouvrant une brèche qui s’est agrandit au fil du temps donnant naissance à ces deux îles. Atterrissement lié aux apports de sédiments par le Sine Saloum et érosion maritime s’affrontent ici en un combat que l’océan semble gagner.
Notre piroguier nous trouve une petite plage abritée du vent sur une ile isolée. Pendant qu’il nous prépare le repas (nettoyage des barracudas, épluchage des oignons, cuisson à la braise) nous faisons un petit tour sur l’ile qui se révèle assez calme. A notre retour, il nous présente un énorme plat avec un Yassa de poisson. Tout simplement un pur délice !
L’après midi sur les bolongs sera bien plus calme, nous parlons de mariage, d’émigration, de salaire, de famille… et apprenons qu’ici à l’occasion des lamantins sont pêchés accidentellement mais qu’il est difficile de les voir. Les dauphins en revanche s’observent assez régulièrement dans le delta où ils chassent les poissons. Il fait chaud, nous nous réfugions sous la tonnelle de notre pirogue et les oiseaux eux, à l’ombre des palétuviers comme ces Aigrettes des récifs ou ces Aigrettes ardoisés. Nous en profitons pour former nos deux piroguiers sur l’identification des espèces et ils semblent très intéressés. Nous ne coupons pas au rituel des 3 thés, le premier amer comme la Mort, le deuxième doux comme la Vie et le troisième sucré comme l’Amour.
Escale dans un petit village du delta pour faire un tour avec une toute petite pirogue en plein cœur d’une mangrove. Pas vraiment d’oiseaux mais petit tour agréable tout en pagayant.
Avec l’approche de la fin de l’après midi, les oiseaux s’activent à nouveau. Nous prenons plaisir à observer des Pélicans blancs sur une vasière en compagnie de Dendrocygnes veufs.
Dans un bolong étroit, un couple d’Alcyons-pies se tient perché près d’un talus. Au final très peu de contact avec cette espèce qui se révèle bien moins présente ici que dans le Djoudj. Peut être le manque de talus propice à la nidification !
Retour au village d’Ndangane vers 18h et après une visite des magasins de la petite ville, nous allons déguster notre deuxième meilleur repas du voyage à notre campement de la Palangrotte. La cuisinière “Binda” a, à notre demande, cuisiné spécialement pour nous le thièboudiène et là encore c’est une tuerie ! Décidément cette journée en plus d’avoir excellente d’un point de vue naturaliste aura aussi été gastronomique.
[su_spoiler title=”Espèces d’oiseaux observés sur le Sine Saloum” style=”fancy”]
Cigogne noire | Black Stork | Ciconia nigra | 2 |
Tantale ibis | Yellow-billed Stork | Mycteria ibis | 1 |
Cormoran à poitrine blanche | Great Cormorant (White-breasted) | Phalacrocorax carbo lucidus | 5 |
Cormoran africain (des roseaux) | Long-tailed Cormorant | Phalacrocorax africanus | 15 |
Pélican blanc | Great White Pelican | Pelecanus onocrotalus | 7 |
Pélican gris | Pink-backed Pelican | Pelecanus rufescens | 30 |
Héron cendré | Gray Heron | Ardea cinerea | 20 |
Héron goliath | Goliath Heron | Ardea goliath | 6 |
Grande Aigrette | Great Egret | Ardea alba | 20 |
Aigrette garzette | Little Egret | Egretta garzetta | 7 |
Aigrette des récifs | Western Reef-Heron | Egretta gularis | 60 |
Aigrette ardoisée | Black Heron | Egretta ardesiaca | 7 |
Héron strié | Striated Heron | Butorides striata | 2 |
Balbuzard pêcheur | Osprey | Pandion haliaetus | 12 |
Busard des roseaux | Eurasian Marsh-Harrier | Circus aeruginosus | 2 |
Busard cendré | Pied Harrier | Circus melanoleucos | 1 |
Huîtrier pie | Eurasian Oystercatcher | Haematopus ostralegus | 60 |
Pluvier argenté | Black-bellied Plover | Pluvialis squatarola | 3 |
Chevalier guignette | Common Sandpiper | Actitis hypoleucos | 3 |
Chevalier arlequin | Spotted Redshank | Tringa erythropus | 1 |
Chevalier aboyeur | Common Greenshank | Tringa nebularia | 30 |
Chevalier gambette | Common Redshank | Tringa totanus | 4 |
Courlis corlieu | Whimbrel | Numenius phaeopus | 100 |
Barge rousse | Bar-tailed Godwit | Limosa lapponica | 20 |
Tournepierre à collier | Ruddy Turnstone | Arenaria interpres | 5 |
Labbe pomarin | Pomarine Jaeger | Stercorarius pomarinus | 2 |
Goéland railleur | Slender-billed Gull | Chroicocephalus genei | 70 |
Mouette à tête grise | Gray-hooded Gull | Chroicocephalus cirrocephalus | 20 |
Goéland d’Audouin | Audouin’s Gull | Ichthyaetus audouinii | 11 |
Goéland brun | Slaty-backed Gull | Larus schistisagus | 15 |
Sterne naine | Little Tern | Sternula albifrons | 10 |
Sterne hansel | Gull-billed Tern | Gelochelidon nilotica | 15 |
Sterne caspienne | Caspian Tern | Hydroprogne caspia | 100 |
Guifette moustac | Whiskered Tern | Chlidonias hybrida | 5 |
Sterne pierregarin | Common Tern | Sterna hirundo | 3 |
Sterne royale | lesser Crested Tern | Thalasseus maximus | 10 |
Sterne caugek | Sandwich Tern | Thalasseus sandvicensis | 50 |
Tourtelette d’Abyssinie | Black-billed Wood-Dove | Turtur abyssinicus | 2 |
Engoulevent à longue queue | Long-tailed Nightjar | Caprimulgus climacurus | 2 |
Martinet des palmes | African Palm-Swift | Cypsiurus parvus | 10 |
Alcyon pie | Pied Kingfisher | Ceryle rudis | 25 |
Guêpier nain | Little Bee-eater | Merops pusillus | 2 |
Guêpier de Perse | Blue-cheeked Bee-eater | Merops persicus | 80 |
Perroquet youyou | Senegal Parrot | Poicephalus senegalus | 1 |
Gonolek de Barbarie | Yellow-crowned Gonolek | Laniarius barbarus | 2 |
Hirondelle de rivage | Bank Swallow | Riparia riparia | 30 |
Hirondelle rustique | Barn Swallow | Hirundo rustica | 1 |
Pouillot véloce | Common Chiffchaff | Phylloscopus collybita | 1 |
Souimanga à longue queue | Beautiful Sunbird | Cinnyris pulchellus | 2 |
Bergeronnette printanière | Western Yellow Wagtail | Motacilla flava | 4 |
Moineau domestique | House Sparrow | Passer domesticus | X |
Amarante du Sénégal | Red-billed Firefinch | Lagonosticta senegala | X |
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