Coussouls de Crau

Dominée au loin par les Alpilles, la plaine de Crau est un site extrêmement original mais également très fragile. Cette vaste steppe est le seul endroit où il est possible d’observer le ganga en France. Elle accueille de nombreuses espèces à forts enjeux de conservation. Etape incontournable pour les naturalistes.  Probablement l’un de mes endroits préférés !

C’est la fin du mois d’août. L’herbe est rase et la plaine silencieuse. Seuls entre les galets se dressent encore les chardons. Les colonies de Faucons crécerellettes Falco naumani si actives au printemps sont désormais abandonnées. Les individus se sont répartis sur l’ensemble des zones de coussouls et ne se rassemblent qu’à la fin du jour dans un dortoir, de grands arbres en bordure de la plaine. C’est aussi l’heure du grand départ en direction de l’Espagne, puis de l’Afrique sub-saharienne, d’importants rassemblements hivernaux ayant été découverts au Sénégal où ils cohabitent avec l’Elanion naucler, espèce exclusivement africaine.

plaine de crau
Coussouls de Crau

En cette soirée cravenne, seul un « pyurr » doux tremblant et légèrement descendant se fait entendre. C’est le Pluvier guignard Eudromias morinellus, une femelle adulte au plumage nuptial commençant à perdre de sa superbe. Arrivée des contrées nordiques, elle est la première observée lors de ce passage post-nuptial qui s’étire habituellement de la mi-août au début du mois d’octobre. La plaine de Crau constitue la principale zone d’arrêt migratoire en France pour cette espèce. Des groupes d’une trentaine d’individus peuvent en effet être contactés. On distingue deux pics de passage : la première aux alentours du 25 août avec une majorité d’adultes, et la seconde à la mi-septembre avec essentiellement les jeunes de l’année. Tout le coussoul n’est pas exploité par le Pluvier guignard qui préfère les abords des bergeries, là où la végétation est la plus rase.

Pluvier guignard

Près de ce petit groupe de guignards, c’est une famille de Gangas catas Pterocles alcata qui s’affaire. Deux jeunes sont présents avec leur plumage décoloré. Ils exercent leurs ailes, tantôt en les étirant, tantôt en effectuant des séries de battements. C’est l’époque de l’année où les gangas se rassemblent pour former des groupes pouvant atteindre plusieurs dizaines d’individus.

Au passage d’un Busard cendré Circus pygargus, le petit groupe de ganga décolle. Les busards sont nombreux dans le courant du mois d’août. Le passage de l’espèce, en particulier des jeunes de l’année, se prolonge jusqu’à début septembre. Le programme de marquage alaire mis en place en France et en Allemagne entre 2009 et 2010 a permis d’identifier l’origine de certains individus. La majorité provenait du Nord-Ouest de la France, d’autres d’Allemagne, mais, paradoxalement, également des individus originaires du Languedoc remontant vers le Nord pour exploiter les ressources alimentaires de la réserve. Durant cette période de l’année, l’espèce se nourrit pratiquement exclusivement de criquets. Ouvrez l’œil, à loccasion c’est un Busard pâle circus macrourus qui se glisse au milieu des cendrés.

Le début du mois de septembre marque le passage des passereaux migrateurs en route vers leurs quartiers d’hiver plus au sud : Tarier des prés, Fauvette grisette, rossignol, Gogemouche noir, Pipit des arbres, Pouillot fitis, pies-grièches … A chercher dans les buissons en bordure de coussouls et entre les prairies de fauche ou à proximité des ripisylves comme autour de l’étang des Aulnes.

Les journées se font plus courtes et l’automne arrive. Après les premières pluies, le coussouls se couvre d’une myriade de marguerites. Sous la pression de la chasse, la plupart des espèces ont quitté la réserve. Les outardes se rassemblent dans les zones agricoles périphériques où elles passeront l’hiver. Les Alouettes calandres restent sur le site et quoique rassemblées en groupes pouvant aller jusqu’à 200 oiseaux, se font très discrètes. Au début du mois d’octobre, les pipits arrivent sur le site qu’ils partageront avec les Alouettes des champs. Les Pipits farlouses sont les plus nombreux mais, chaque année, une vingtaine de Pipits de Richard peut être observée lors du pic du passage. Quelques individus (moins d’une dizaine) hiverneront sur le coussouls.

Pipit de Richard - Crau (13)
Pipit de Richard – Crau (13)

Certaines journées d’octobre, on assiste à une déferlante de fringilles en migration vers le sud : Pinsons des arbres et du nord, chardonnerets et serins passent par centaines.

Le temps passe, les températures descendent. Les troupeaux de moutons, de retour des alpages, réoccupent la plaine. C’est la période la plus calme de l’année.

Le soir, les Milans royaux (Milvus milvus) regagnent leurs dortoirs dans les grands arbres alentours. Ils étaient bien plus nombreux lorsque la décharge d’Entressen était encore en activité. Les effectifs pouvaient monter à 200 individus. Aujourd’hui, ils sont encore au moins une centaine à passer l’hiver en Crau.

Milans royaux
Milans royaux
Milan royal
Milan royal

Sur l’étang des Aulnes, les canards se rassemblent : Colverts, Fuligules milouins, Fuligules morillons, Nettes rousses … Les Foulques macroules peuvent former des groupes de plusieurs centaines d’individus. Les Grands cormorans se postent sur les abords de l’étang avant de partir pêcher. A la tombée du jour, des ardéidés se rassemblent dans les grands peupliers en bordure de l’étang tandis que le cri d’un râle rompt l’ambiance paisible de cette froide soirée d’hiver.

etang des aulnes

Petit à petit, les Pipits de Richard et les Pipits farlouses quittent le coussouls. L’hiver touche à sa fin.

Les premiers Faucons crécerellettes arrivent dès fin février et se cantonnent immédiatement. Mais ils ne savent pas ce qui les attende. Les coups de froid tardifs peuvent contraindre certains individus à quitter le coussouls à la recherche de zones plus clémentes. C’est ainsi qu’en mars 2013 plusieurs faucons cravens, identifiés grâce à leur bague, ont été observés dans le Var, sur le Plan de La Garde.

Mars, les soirées se font plus douces. Un miaulement retentit depuis une bergerie, ce n’est pas un chat mais une Chevêche d’Athéna, petite chouette au regard d’or, qui entame son chant nuptial.

Après quelques jours de grisaille et de pluie, le soleil fait enfin son apparition. Il n’en faut pas plus pour réveiller l’instinct des oiseaux qui aussitôt se mettent soit en mouvement, soit à chanter. Dans les peupliers ceinturant l’étang des Aulnes, les mésanges, les grimpereaux, les étourneaux et les Pigeons ramiers font entendre leurs voix. Sur l’étang, les Grèbes castagneux deviennent belliqueux et les Grèbes huppés commencent à parader. Les deux oiseaux se rapprochent, se font face à face, ils s’observent puis, soudain, tournent la tête alternativement vers la droite puis vers la gauche dans le sens opposé du congénère. Ce ne sont là que les premiers mouvements d’une parade parfaitement coordonnée. Dans le ciel, des cris lointains de Mouettes mélanocéphales encore invisibles trahissent leur présence. Alors que le soleil se fait plus chaud, les premiers thermiques se créent et c’est au tour des rapaces de se mettre en mouvement. D’abord un Milan noir tout juste revenu d’Afrique, puis une, non deux, non ce sont 4 Buses variables qui cerclent ensemble au-dessus des près, elles aussi remontent vers leurs sites de nidification. Quelques instants plus tard, c’est un Circaète Jean le Blanc suivi d’un deuxième qui fait son apparition. Au-dessus de l’étang, comme s’il n’y jetait qu’un coup d’œil, un Balbuzard pêcheur fait quelques sur places et puis s’en va ! Au loin, des cris évoquant des ambiances nordiques retentissent. Ce sont des Grues cendrées, plus de 300 dont le vol en V s’étire dans le ciel. Probablement des hivernantes camarguaises voire des espagnoles qui empruntent la vallée du Rhône en direction des terres scandinaves. Elles symbolisent à elles seules le renouveau, le printemps !

fuligule morillon

Dans la Crau sèche voisine, les alouettes entament leurs chants de parade haut dans les airs. Les plus nombreuses sont les Alouettes des champs et plus rares mais en progression au cours des dernières années, les Alouettes calandres mettent aussi beaucoup d’entrain pour conquérir un territoire et une femelle. Près de la bergerie de Peau de Meau, tout semble calme. Le troupeau de moutons pâture le coussouls à la recherche de “la baouque”, le fameux Brachypode qui fait de cette terre de Crau une zone dévouée l’élevage ovins. Plus discret, à proximité, un couple de Faucon crécerellette prospecte un tas de galets à la recherche d’un site de nidification, le même qu’a choisi une chevêche qui n’hésite pas à le faire savoir en fondant avec vigueur sur les squatteurs.

Alouette calandre

Au fil des jours, l’activité se fait croissante. Entre la mi-avril et le début du mois de mai, c’est l’arrivée massive des oiseaux migrateurs. Lors des jours de belles tombées, plus d’une dizaine d’espèces de passereaux différentes peuvent être observées. Les premiers arrivés sont les Pouillots fitis, les rossignols, les Fauvettes grisettes, les hirondelles, Rougequeues à front blanc, Tariers des prés … (3 premières semaines d’avril) puis les gobemouches, guêpiers et les Pouillots siffleurs (à partir du 15 avril) les rolliers (fin avril) et enfin les pies-grièches, coucous et loriots (début mai).

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Tarier des prés

Selon les années, début mai, un petit rapace migrateur vient aussi se joindre aux classiques Faucons crécerellettes. Il s’agit du Faucon Kobez qui remonte depuis les terres africaines en route vers les pays d’Europe de l’est où l’espèce se reproduit. Les années de rush, ce sont des groupes d’une dizaine d’individus qui stationnent et profitent de la manne alimentaire du désert de Crau. Peu farouches, ces petits faucons se laissent approcher lorsqu’ils se reposent sur les piquets des clôtures ou sur les typiques tas de galets. A la fin du mois seuls quelques individus sont encore présents. Essentiellement des immatures peu pressés de participer à la reproduction.

Faucon kobez (1)
Faucon kobez femelle

Pendant ce temps, les colonies de crécerellettes atteignent leurs effectifs maximum. Certains couples choisissent de s’installer au sol dans des tas de pierres, d’autres en hauteur dans des nichoirs aménagés, soit sur des plateformes soit sur les toits des bergeries. En 2012, ce sont 175 couples qui se sont cantonnés.

A la tombée du soir, le concert des œdicnèmes criards débute, de longues séries de “Kourrrrrliiii kourrrrrrrliiii” qui lui ont valu le  nom de Courlis de terre. La Crau constitue un bastion pour cette espèce qui atteint ici de belles densités.

Oedicnème criard
Oedicnème criard

Fin du mois de juin. C’est le début de l’été dans la plaine. Dès l’aube, les lumières sont chaudes et les oiseaux s’activent au milieu des hautes herbes sèches et jaunies par le soleil. Une Outarde canepetière mâle se déplace en tentant de se dissimuler, elle s’arrête derrière un buisson et pousse son chant, un prrt bref assez caractéristique. Sa tête émerge de temps à autre d’une mer végétale tel un sous-marin. Les femelles sont maintenant plus discrètes : elles sont encore au nid, mais il ne manque que quelques semaines avant que les premiers poussins ne sortent.

Outarde canepetière
Outarde canepetière

Encore plus discret, le Ganga cata. Deux individus, un mâle et une femelle, sont aplatis au milieu des herbes, se fiant à leur camouflage. Vers 8h, sonne l’heure du départ pour aller s’abreuver et ce ne sont pas deux gangas qui décollent, mais une dizaine que nous n’avions même pas vus !

ganga cata
Ganga cata

Les alouettes quant à elles s’affairent à nourrir leur progéniture et partent à la chasse aux insectes au milieu des galets.

alouette calandrelle
Alouette calandrelle
alouette calandre
Alouette calandre

Les jeunes huppes elles aussi sont sorties. Perché sur un buisson, ce jeune attend que ses parents viennent le nourrir. Cela ne durera pas longtemps, le couple est déjà entrain de préparer la deuxième ponte de l’année.

huppe fasciée
Huppe fasciée

Le soleil monte rapidement dans le ciel. Un Faucon d’Eléonore en migration file au loin. Le long du ruisseau, les libellules s’activent et partent à la chasse, elles sont nombreuses à sillonner les abords du canal à la recherche de proies.

orthetrum 02
Orthétrum brun
orthetrum
Orthétrum brun
Onychogomphe à pinces méridional
Onychogomphe à pinces méridional
plaine de crau 02
Canal en plaine de Crau

 

mes balades

en Crau

Comment visiter la réserve ?

La réserve est accessible grâce au sentier balisé de Peau de Meau : la draille des coussouls. Pour cela vous devez obtenir un pass auprès de l’écomusée à Saint-Martin de Crau. Le sentier permet d’effectuer une boucle au milieu du coussouls et de joindre un observatoire dans une bergerie. Vous pouvez également accéder aux abords de l’étang des aulnes depuis les quelques parkings le long du Chemin d’Istres. Le reste de la réserve est constitué de propriétés privées et de pistes où la circulation est réglementée.

Espèces remarquables

Ganga cata

Œdicnème criard

Outarde canepetière

Alouette calandre

Alouette calandrelle

Pipit de Richard (hivernage)

Pluvier guignard (Migr)

Faucon kobez (Migr)

Faucon crécerellette

Criquet rhodanien

Localisation

4 Commentaires

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    Jacqueline
    Posted 19 novembre 2013

    Merci pour ces textes et ces photos. De la beauté, de la poésie, du rêve.

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      admin
      Posted 06 décembre 2013

      Merci beaucoup Jacqueline pour ce commentaire ! Amitiés

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    Patrick Höhener
    Posted 21 octobre 2014

    Très belle page sur la réserve de la Crau, merci.

    Les libellules sont Orthétrum brun (Orthetrum brunneum, les deux bleues), et
    Onychogomphe à pinces méridional (Onychogomphus forcipatus unguiculatus) la jaune et noire

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      admin
      Posted 21 octobre 2014

      Il y a désormais un nom pour ces deux espèces de libellules classiques de Crau. Merci pour votre aide !

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