Dimanche 10 juillet 2016
Nous quittons Dalvik et pique niquons près de la zone humide en sortie de la ville. Quelques mouvements de Sternes arctiques mais l’on sent bien que ce n’est plus la bonne heure. Le temps vire au gris et c’est sous de sombres nuages que nous roulons vers Myvatn. Arrêt à Godafoss, une très jolie cascade comme l’Islande en regorge. Nous ne sommes pas les seuls, d’autres touristes profitent aussi du spectacle. Lorsqu’il y a du soleil, cette « cascade des dieux » offrent de magnifiques arcs-en-ciel mais aujourd’hui pas le moindre rayon lumineux pour se disperser dans les gouttes d’eau expulsées par la cataracte.
Dans le ciel, un drone fait son apparition. Le bruit généré par les moteurs est gênant dans ces paysages sauvages et le risque de chute de l’objet sur les personnes n’est pas négligeable. L’Islande qui avait l’une des législations les plus libérales vient dernièrement de prendre des mesures visant à interdire l’usage des drones dans la partie nord du Parc national du Vatnajokull. Nuls doutes que ces mesures vont s’étendre prochainement à l’ensemble du pays.
Une étape incontournable pour tout ornithologue, la rivière Laxa. C’est ici que deux espèces emblématiques de l’Islande se trouvent. Nous tombons rapidement sur nos premiers Garrots d’Islande, deux femelles nageant à proximité d’une famille de Canard siffleur dans un petit chenal. Au niveau du pont, la rivière se fait plus tumultueuse avec de beaux rapides. Près des berges, dans les rares zones lénitiques nous trouvons notre première femelle d’Arlequin plongeur enchainant les plongées en limite du courant . Derrière elle, son jeune reste en surface à proximité de la végétation. La moindre erreur de vigilance se paye cher. Même dans ces « zones calmes », le courant est présent et s’est au prix d’un pédalage continu que le caneton se maintient en sécurité. Visiblement distrait il se laisse déporter par le courant. Lorsqu’il s’en rend compte, il redouble d’efforts pour se maintenir, lance de nombreuses séries pépiements mais hélas tel un petit bouchon, il est emporté dans les rapides sans que la femelle ne s’en aperçoive. 30m plus loin, il parvient à regagner le bord et disparait aussitôt sous les plantes riveraines.
Nos recherches dans les environs nous permettent de découvrir d’autres arlequins, deux autres femelles accompagnées de leur rejeton ainsi que deux femelles solitaires. Pas de chance en revanche en ce qui concerne les mâles. Nous le savions, dès la mi-juin, ceux –ci abandonnent les sites de reproduction et gagnent la mer. Nous avions espéré quand même pourvoir tomber sur l’un deux et pouvoir admirer le plumage de ces messieurs qui est sans conteste, l’un des plus magnifiques plumages que l’on puisse voir chez les canards.
Ca y est nous y atteignons le mythique lac Myvatn. Réputé aussi bien pour ses concentrations d’oiseaux d’eau, que pour son intérêt géologique. Nous sommes là en effet précisément sur la zone de séparation entre les deux plaques américaine d’un côté, eurasienne de l’autre. Le lac Myvtan est situé dans un graben où l’activité des volcans date de moins de 10 000 ans. Autre trait caractéristique de ce lac qui est âgé de 2300 ans, les pseudo-cratères que l’on rencontre au milieu du lac ou sur sa rive sud. Ce ne sont pas de véritables volcans mais le résultat de la rencontre d’une coulée de lave avec l’eau du lac initial. Au contact de la matière en fusion, l’eau chauffée se transforme en vapeur le tout accompagné d’explosions donnant naissance à des cratères phréatiques dont le diamètre varie de quelques mètres à une centaine mètres. Dans ce paysage aux reliefs sombres, le ciel chargé de nuages ajoute une touche supplémentaire d’austérité. Régulièrement, un front de pluie vient s’abattre sur nous, ne nous laissant que peu de répit pour observer tous les canards qui se sont rassemblés sur la rive ouest. Le Lac Myvatn est un hotspot pour les canards islandais. Il y a bien d’autres lacs à travers l’ile mais c’est seulement celui-ci qui les attire. On trouve plusieurs explications à ce constat. Historiquement, ce lac a toujours été un havre de paix puisqu’il n’y jamais eu de chasse (seuls les œufs et le duvet des oiseaux ont été collecté) et depuis 1974, la loi islandaise est venue officialiser ce sanctuaire en le classant en parc national, conférant la tranquillité nécessaire à la reproduction des oiseaux. La dernière explication est d’ordre physico-chimique. On trouve sur les rives sud, une alimentation du lac par la rivière Kraka mais il s’agit là d’un apport secondaire. Ce sont les résurgences et les sources provenant des nappes phréatiques qui avec un débit cumulés de plus de 35m3/s sont les principales pourvoyeuses d’eau. Ces eaux souterraines proviennent des précipitations qui s’abattent sur le bassin versant du lac, elles s’infiltrent à travers les couches de roches volcaniques, se chargent lentement en minéraux et se stockent dans des nappes phréatiques avant d’alimenter le lac. La charge minérale élevée de ces eaux de source et le fort ensoleillement dont jouissent les eaux peu profondes (2,5 m en moyenne) du lac sont à l’origine de la prolifération de différentes espèces algues (algues vertes et bleues). Les ressources alimentaires que fournissent ces algues sont indispensables au développement de nombreuses larves d’insectes. Chironomes, moucherons de la famille des Simulidés, Phryganes, éphémères… produisent chaque année de massives éclosions lors des mois de juillet et d’août. Aux pics d’éclosions, les mâles de ces espèces se concentrent depuis les rives jusqu’au sommet des collines environnantes. Quand aux mues, elles s’accumulent en épais dépôts sur les berges du lac. C’est un moment de festin pour les poissons (Ombles chevaliers, Truites et Epinoches) et différentes espèces oiseaux. On comprend mieux la signification du nom du lac qui se traduit par «Lac des mouches» ou «Lac des moucherons».
13 espèces de canards se reproduisent régulièrement (et deux occasionnellement) sur le lac Myvatn, auxquelles s’ajoutent une quinzaine d’autres espèces. Si jusqu’en 1970, le Fuligule milouinan a été l’espèce dominante parmi les anatidés, il s’est fait depuis détrôné par un nouvel arrivant, le Fuligule morillon. Depuis les quelques accès à partir desquels il est possible de stationner du côté ouest du lac, nous détaillons les canards. Nous constatons qu’ils sont nombreux et ce sont essentiellement des femelles de différentes espèces et toutes sont accompagnées d’une bonne dizaine de canetons ! L’anse dans laquelle nous observons est constellée de groupes familiaux. Et en effet, ce sont les femelles de Fuligules morillons qui sont les plus présentes. Il y a aussi des femelles de Fuligules milouinans, effectivement bien moins nombreuses, reconnaissables à leurs taches crème sur la tête et leur dos moins sombre que la cousine morillon. Un ami ornitho est passé sur le lac quelques jours avant nous et avait été déçu de ne trouver que peu de canards. Quelle métamorphose en peu de temps ! Les mâles une fois leur tâche accomplie dans la reproduction se rassemblent dans certaines baies et quittent assez rapidement le site. Les femelles, dissimulées dans les prairies couvrant les rivages sont parfaitement invisibles, attendant la délivrance et l’éclosion des œufs qu’elles ont longuement couvés. En moyenne, la couvaison dure un peu moins d’un mois pour ces deux dernières espèces. Les petits étant nidifuges, ils quittent très rapidement le nid et accompagnent la femelle qui les amène immédiatement sur l’eau pour les préserver des prédateurs terrestres tels le Renard polaire. Une fois sur l’eau ils ne sont pas pour autant à l’abri de tout danger. Alors que nous remballons la longue vue, un oiseau au vol puissant et rapide traverse la baie pour aller se poser sur un promontoire rocheux de la presqu’ile voisine. Notre impression est la bonne, c’est un magnifique adulte de Faucon gerfaut que nous détaillons rapidement. Quelques centaines de mètres nous en sépare. Nous approchons avec la voiture et alors que l’on repositionne la longue vue, il a disparu ! Pas moyen d’y remettre l’œil dessus ! Frustrante cette observation, nous aurions bien aimé en profiter davantage. Cet arrêt n’est pas inutile, il nous permet de découvrir une quinzaine d’Oies cendrées dont les têtes dépassent des herbes. Elles nous surveillent, les petits ne doivent pas être très loin. Le long de la route, s’enchainent les observations de Bécassines des marais, de Pluviers dorés, de Courlis corlieux … les classiques de l’Islande. Moins classiques, ces observations de Macreuses noires et d’Hareldes boréales, là aussi, uniquement des femelles accompagnées de tous petits jeunes. Les suivis des populations de ces deux espèces sur le lac ont surtout été axé sur le dénombrement du nombre de mâles présents. Entre 1960 et 2010 ces suivis ont montré une importante chute des effectifs durant les 15 premières années avec des taux de régression variant de 5 à 9% par an passant de 700 à 200 mâles pour les Macreuses et de 800 à 100 mâles pour les Hareldes. Entre 1975 et 2010, la tendance s’est inversée pour les Macreuses noires, remontant à 550 mâles en 2008 tandis que le nombre de mâles d’Hareldes boréales s’est quant à lui stabilisé, fluctuant entre 100 et 250 mâles. L’origine du déclin de ces deux espèces a été corrélé à une modification des ressources alimentaires et la diminution des effectifs d’un petit crustacé cladocères (Eurycercus lamellatus), proie principale des cannetons de Macreuses noires et des Hareldes boréales sur Myvatn.
Dans la faible lumière de cette fin de journée, nous repérons vers le centre du lac un groupe lâche de mâles de Garrot d’Islande au superbe plumage. Ils ne sont pas donc pas tous partis, mais un peu loin pour faire de belles observations !
Nous terminons la journée avec un groupe d’environ 250 mâles de Canards siffleurs ayant trouvé refuge dans une baie protégée du vent. Notre arrêt sur la route, pourtant assez lointain les fait quitter le rivage et prendre lentement mais surement le large. Plus de lumière malgré le fait qu’il soit encore tôt, à peine 20 heures. C’est le moment de trouver un endroit tranquille et autorisé pour dormir. Il est possible de camper librement en Islande à l’exception des parcs, nous sortons donc des limites de celui-ci et trouvons un petit chemin pour une nuit qui sera très fraîche (eh oui, un seul sac de couchage pour deux … !)