J’ai eu la chance de parcourir par deux fois ces terres de glace et de feu. La première fois en 2011 où, en 15 jours nous avons fait le tour de l’île et la seconde en 2016, cette fois-ci plus axé sur la partie nord-ouest avec pour fil directeur l’observation des renards polaires.
Ça y est nous y sommes, nos premiers pas sur la terre islandaise. Nous poursuivons ainsi nos voyages avec la découverte de cette île boréale perdue au milieu de l’Atlantique nord. Voltaire déjà, mentionnait ce côté isolé tant d’un point de vue géographique que politique : « Je ne parlerai point de l’Islande, qui était la Thulé des anciens, ni du Groenland, ni de toutes ces contrées voisines du pôle […] la connaissance de ces pays est aussi stérile qu’eux, et n’entre point dans le plan politique du monde. » Le mythe de Thulé, cette terre du nord dont le premier grand historien grec connu, Hérodote parlait en ces mots « C’est une île de glace, située dans le grand Nord où vécurent des hommes transparents ». Au IVe siècle avant notre ère, Pythéas quitte le lacydon, port antique de Massalia (Marseille) à bord d’un pentécontore, un navire rapide à bord duquel il sillonnera l’Atlantique à la recherche d’une terre mystérieuse et sacrée où serait né le peuple source. Après une escale sur l’île d’Ouessant, il découvre les côtes de Grande-Bretagne et le pays des Pictes. Il demande aux barbares s’il est au bout du monde ou bien s’il existe d’autres terres plus lointaines. Les guerriers aux bracelets de bronze et aux torses peints lui répondent qu’il existe au delà de l’océan une île étrange plus au nord où seuls peuvent aborder ceux qui ont le cœur pur. De là, après 6 jours de navigation, il pose le pied en Islande et découvre ses habitants « Les Barbares nous montraient où se couche le Soleil, c’est-à-dire l’endroit où il disparaît pendant six mois, mais où, l’été, les nuits sont éclairées.».
A l’échelle des temps géologiques, l’Islande est une terre toute jeune. Sortie de l’océan il y a seulement 20 millions d’années du fait d’une intense activité de la dorsale médio-atlantique couplée à un magmatisme de point chaud. Ce volcanisme est à l’origine d’une nature belle mais austère dont le rude climat ne vient que renforcer cette impression.
L’Islande est une Terre de feu où sont actuellement répertoriés une trentaine de volcans actifs. Krafla, Grimsvötn, Gjalp, Hekla, Eyjafjallajökull … et le dernier à avoir fait parler de lui en 2014 le Bardarbunga. On y trouve tous les types de volcans connus au monde mais les trois principaux sont les volcans boucliers, les strato-volcans et le volcanisme fissural. En moyenne, l’île connait une éruption tous les 5 ans. L’activité volcanique suit une diagonale à travers le pays depuis le nord-est, du côté de Myvatn jusqu’au sud-ouest sur la péninsule de Reykjanes. Cette diagonale correspond au centre de la dorsale médio-océanique, une structure en horst et graben née du processus de la tectonique des plaques chère à Wegener. Depuis cette ligne, deux plaques se séparent, d’un coté la plaque américaine, de l’autre, la plaque eurasiatique avec une vitesse d’environ deux centimètres par an.
L’Islande est aussi une Terre de glace. Durant 8 mois de l’année, la neige s’abat sur l’île. Au fil des siècles et des millénaires, ces couches de neige ont donné naissance sur les hauteurs à des glaciers qui ont contribué à façonner les paysages islandais. Fjords du nord-ouest ou sandar dans le sud du pays en sont deux illustrations. Ces glaciers couvrent 1/10 du territoire national. Le plus grand, le Vatnajokull dans le sud-est du pays a une superficie équivalente à celle de la Corse. Son épaisseur maximale atteint les 1000 m. L’association des glaciers aux volcans peut donner naissance lors des éruptions à des jökulhlaup, ces crues dévastatrices charriant de colossales quantités d’eau et de matières provenant de lacs sous glaciaires. Sous l’action du magma remontant en surface, le glacier fond, l’eau s’accumule jusqu’à ce que la vidange s’opère brutalement avec la rupture du verrou retenant l’eau. Lors de l’éruption du Grimsvötn en 1996, le débit de la rivière Skeidara a été multiplié par 100 en deux heures (dépassant alors celui du Mississipi) avec une vague de 4 à 5 m de haut qui a déferlé dans le sandur du Skeidararjökull.
Sanctuaire dédié à la nature, longtemps isolée, de tout temps peu peuplée par l’Homme (densité actuelle de 3,2 hab/km2), ses eaux étaient considérées durant le Moyen âge comme dangereuses pour la navigation car peuplées de monstres marins. Au XVIe siècle, les récits de la Peyrère et de la Martinière évoquent la présence de Licorne. Au fur et à mesure des campagnes de prospection des eaux islandaises, ces monstres marins et ces animaux mystérieux disparaissent au profit de baleines et de Narvals.
Si l’île était autrefois couverte de forêts, il n’en reste aujourd’hui plus grand-chose. La déforestation y a été sévère, pour un usage de chauffage, de construction de bateaux …. Les surfaces boisées ne couvrant actuellement que moins d’1% de l’île. La végétation a évolué de même que les espèces animales présentes. Le règne végétal est représenté sur l’île par environ 5 360 espèces, les plus nombreux étant les Champignons avec plus de 2 000 espèces, viennent ensuite les algues puis les lichens avec 735 espèces. Peu d’insectes (ici aucun moustique contrairement aux terres scandinaves où ils peuvent être en été une vraie plaie !), aucun reptile, aucun amphibien, seuls les oiseaux sont bien représentés tandis que l’on ne rencontre que quelques mammifères.
L’ornithologue, amateur d’oiseaux, trouvera en ces terres islandaises une zone d’exploration de tout premier choix. Située à l’extrême ouest de l’Europe, aux portes de l’arctique et soumise aux influences américaines, l’Islande est un panachage d’espèces essentiellement paléarctiques teinté de néarctiques. En 2009, le total des espèces observées sur l’île s’élevait à 375. Le nombre d’espèces nicheuses est bien inférieur à ce chiffre. On compte en effet seulement 74 espèces qui se reproduisent régulièrement. Ce n’est donc pas sur la diversité qu’il faudra parier lors d’un voyage dans ces terres nordiques mais plutôt sur l’abondance des espèces présentes. Difficile en effet de passer à côté de l’omniprésent Pluvier doré dont les cris mélancoliques bercent toutes les balades dans les secteurs où la végétation est présente, ou la longue trille du Courlis corlieu. L’Islande est une terre parfaite pour débuter l’ornithologie. Une seule espèce de courlis (pas de cendré ici), une seule espèce de Chevalier, le gambette, une seule espèce de Bécassine, des marais, une seule espèce de barge, à queue noire … on pourrait continuer comme cela la liste longtemps.
En cette mi-juillet, nous sommes arrivés juste au moment des éclosions. Les sites, qui comme Myvatn, étaient relativement calmes quelques jours auparavant se sont couverts de canetons lors de notre passage. Femelles de fuligules morillons ou milouinans accompagnées chacune d’une dizaine de canetons quand ce n’était pas les femelles d’hareldes boréales. Cette mi-juillet est aussi la période des fenaisons. De vastes parcelles de prairies humides sont fauchées pour collecter le foin indispensable au nourrissage des moutons durant l’hiver. Celles qui gardent encore leurs vertes parures, hébergent des chevaliers gambettes, des barges à queue noire, des courlis corlieux prompts à alarmer à votre passage. En prenant le temps, on découvre très vite des poussins s’empressant de se faufiler entre les herbes pour trouver refuge. Les bécassines des marais survolent ces mêmes territoires en effectuant des vols de parades. Peut être en prévision d’une deuxième ponte car les poussins issus de la première ont quasiment la taille des adultes, il n’en diffère que par quelques filoplumes sur la tête et un bec n’ayant pas encore atteint sa taille adulte.
Il est flagrant de constater le faible nombre de passereaux. Pipit farlouse, Bergeronnette grise et Grive mauvis sont les trois plus classiques. Moins fréquent, le Bruant des neiges que l’on rencontre depuis les côtes herbeuses jusqu’aux plateaux rocheux où la végétation se fait rare.
La touche néarctique se retrouve avec le Plongeon imbrin ou l’Arlequin plongeur, deux espèces qui atteignent ici l’extrême est de leur aire de répartition. Depuis 1920, l’avifaune islandaise s’est enrichie de quelques espèces. Aux goélands marins et Bourgmestre, sont venus s’ajouter le Goéland argenté, le Goéland brun et le cendré ainsi que la Mouette rieuse. L’Etourneau sansonnet est aussi une acquisition récente dans le paysage islandais.
La liste des mammifères insulaires autochtones est assez réduite du fait de l’isolement géographique. Côté mammifères terrestres, seul le Renard polaire est originaire de l’île. Son arrivée daterait de la dernière glaciation qui s’est terminée il y a 10 000 ans. La banquise lui ayant permis de rejoindre cette terre isolée. Toutes les autres espèces sont soit des erratiques soit des espèces introduites dans le milieu. Parmi les introduites, on note le Mulot sylvestre, la Souris grise, le Rat surmulot et le Rat noir qui ont tous été importés par l’Homme de manière involontaire. D’autres l’ont été de manière volontaire comme le Renard roux qui ne s’est que difficilement établi dans le pays.
Parmi les erratiques, signalons une espèce de Chauve-souris américaine et l’Ours polaire … oui vous avez bien lu Ours polaire. Dans une édition du journal Le Monde de 2008, on apprend que deux ours polaires ont mis pattes à terre dans le nord de l’Islande. Le 03 juin 2008, un adulte est observé par un agriculteur, se déplaçant le long d’une route du Skagafjordur. L’animal a été tué par la police locale. Deux semaines plus tard, un nouvel individu dans la même région est surpris en train de se nourrir d’œufs dans le poulailler d’une ferme. Lui aussi sera abattu malgré le statut de protection dont bénéficie l’espèce en Islande. L’Ours polaire est en effet protégé tant qu’il ne représente pas un danger pour les populations humaines. Les populations d’ours polaires les plus proches se trouvent au Groenland (voir la carte de répartition de l’espèce de l’UICN). Mais l’espèce n’hésite pas à explorer des zones limitrophes et l’on voit bien sur la carte qu’il peut s’approcher relativement près des côtes islandaises. Dérivant sur un morceau de banquise, certains atteignent l’Islande. Cela a encore été le cas cet été, le 16 juillet, une femelle a été tuée non loin des deux de 2008 … nous aurions pu voir de l’ours ! Durant le dernier millénaire, ce ne sont pas moins de 500 ours polaires qui ont été observés en Islande ! Il existe même une carte répertoriant toutes ces observations.
Si les mammifères terrestres sont peu représentés, c’est vers les mammifères marins qu’il faut se tourner pour trouver le maximum de diversité. Parmi les Phoques, deux espèces fréquentent tout au long de l’année les côtes rocheuses islandaises. Il s’agit principalement du Phoque veau-marin et dans une moindre mesure du Phoque gris. De manière occasionnelle, quatre autres espèces de phoques en provenance de l’arctique peuvent être aussi vues.
Les eaux islandaises sont réputées pour leur richesse en cétacés. Si le Whale-watching est une activité en plein essor, offrant aux amateurs de nature la possibilité de découvrir un monde fascinant, la chasse, activité ancienne en Islande est toujours présente bien qu’en large régression. La principale compagnie de chasse à la baleine a annoncé ne pas chasser en 2016 le Rorqual commun. Ce n’est pas un élan de bonté envers la nature mais simplement lié à la difficulté croissante d’exporter la chair des baleines vers le Japon, unique acheteur. Celui-ci étant plus draconien d’un point de vue administratif. A cette difficulté s’ajoute le refus de plus en fréquent de nombreux ports à travers le monde d’accueillir les navires islandais transportant cette marchandise. La chasse se poursuit toutefois pour le Petit rorqual mais devant la faible demande intérieure, les quotas alloués (239 individus en 2015) sont très loin d’être atteints. Seuls 29 rorquals ont été tués au cours de cette même année. On dénombre 15 espèces de cétacés fréquentant régulièrement les eaux islandaises dont le Cachalot, le Marsouin, l’Orque épaulard ou le Rorqual bleu (la plus grande baleine au monde) pour ne citer qu’eux. Trois autres espèces sont des occasionnels. Le Dauphin commun, le Bélouga et le Narval… un petit air d’arctique je vous disais …