Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, la forêt de Bialowieza est la plus ancienne forêt primaire d’Europe. La visite de la partie intégrale de la réserve est donc un passage obligatoire pour un voyage naturaliste en Pologne. La veille nous avions réservé auprès de la maison du parc une visite guidée. C’est le seul moyen de visiter cette partie, mais nous ne regrettons pas, la balade était vraiment très intéressante et notre guide, qui maîtrisait parfaitement le français, était vraiment passionnée par « sa » forêt. Un moment d’échanges enrichissant !
En attendant l’heure du rendez-vous, nous faisons un tour dans le parc du palais où il est possible d’observer les oiseaux. Un martin pêcheur file à toute allure le long d’un des étangs tandis qu’une grive musicienne recherche de la nourriture sur les pelouses.
Nous finissons par rejoindre notre guide, et c’est parti pour 2 heures de balade dans la « strict reserve ». Nous commençons par un rapide tour dans le parc du palais aménagé dans le style anglais et passons devant la plus vieille maison datant de 1845. Le palais des tsars a quant à lui été détruit en 1944.
Après avoir acheté les billets, nous pouvons enfin pénétrer dans la réserve. La forêt a été préservée très tôt. Dès 1538, des lois édictées par Sigismund I L’Ancien permirent de protéger la forêt. Plus tard, lorsque la Pologne faisant partie de l’Empire russe, les tsars y organisaient de grandes chasses, préservant ainsi la forêt de l’exploitation. Le parc national est mis en place en 1932 et prend le nom de Białowieski Park Narodowy. La forêt de Bialowieza est un très grand complexe à cheval sur la Pologne et la Biélorussie. Au total elle recouvre 1250 km2 dont 580 km2 en Pologne.
Sa situation géographique en fait un site exceptionnel : sur la ligne de séparation entre l’Europe centrale et l’Europe orientales, de nombreuses espèces trouvent ici la limite de leur aire de répartition. Elle se trouve également près de la limite de partage des eaux entre le versant de la mer Baltique et celui de la mer Noire. Elle est composée de forêts mixtes où l’âge des arbres peut atteindre entre 200 et 400 ans ! Ceci peut expliquer les tailles impressionnantes : l’épicéa peut atteindre 57m, le pin sylvestre, le chêne pédonculé, le tilleul et le frêne une quarantaine de mètres.
Les hivers y sont rudes et certains arbres en portent la marque.
La forêt de Bialowieza est donc réputée pour être la dernière “forêt primaire d’Europe” mais qu’entendons-nous par là ? Une forêt primaire désigne une forêt originelle, intacte, n’ayant jamais été détruite, fragmentée ou exploitée par l’homme. La forêt de Bialowieza, formée il y a 10000 lors de la dernière glaciation, n’est cependant pas, à proprement parler, une forêt “vierge”. Des traces d’activités humaines datant du Néolithique y ont en effet été trouvées. Au Moyen-Age, la forêt était également habitée comme en témoigne la découverte de 500 tertres funéraires. La forêt a été dès le territoire de chasse des tsars dès le XV° siècle. Par ailleurs, l’installation de ruches sauvages a longtemps été une activité menée dans la forêt. Sous autorisation royale, un trou était creusé dans les arbres penchés vers l’Est. La cire était même utilisée comme monnaie. Cette activité fut interdite par le Tsar dans la moitié du XIX°. Pendant la première guerre mondiale, une partie de la forêt a été exploitée mais heureusement le cœur n’a pas été touché. Aujourd’hui, quelques sentiers ont été aménagés dans une infime partie du territoire, mais tout est mis en œuvre pour limiter l’impact du passage des nombreux touristes. (Il est par exemple interdit d’uriner une fois que vous avez pénétré l’enceinte de la réserve, prenez donc vos précautions !)
Néanmoins, malgré ces quelques activités, nombreux espaces de la forêt n’ont jamais été perturbés par l’homme. Son tapis végétal est en excellent état de conservation. On peut y retrouver des espaces proches de la forêt originelle.
Le point intéressant du caractère naturel de cette forêt est qu’on peut y observer dans le même temps les différents processus du cycle végétal. Les arbres morts et les troncs sont laissés sur place, ce qui permet à de micro-écosystèmes de voir le jour.
Les souches restantes deviennent le support pour fougères, lichens et autres plantes épiphytes.
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Des études ont montré que 60 espèces vivantes pouvaient se développer sur un tilleul vivant, 366 sur un tilleul mort … Les tilleuls sont d’ailleurs nombreux dans la forêt, ils y atteignent des tailles impressionnantes. Il est facile de les reconnaître grâce aux rejetons qui poussent au pied de leur tronc. Lorsque l’arbre “meurt”, une de ces branches le remplace. D’un point de vue génétique, il s’agit donc toujours du “même” arbre … il est donc difficile d’estimer l’âge de ces tilleuls !
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Le sous-bois de la forêt originelle n’est pas un milieu impénétrable comme pourrait l’être notre maquis méditerranéen. Au contraire, l’espace est assez ouvert et s’y développent mousses, champignons, fougères … et bien entendu l’ortie qui peut mesurer ici plus d’un mètre de hauteur.
Ces espaces naturels d’exception sont également le refuge pour de nombreuses espèces animales. C’est ici qu’a été abattu le dernier bison d’Europe sauvage. Mais c’est également ici qu’a vu le jour le programme de réintroduction. D’autres programmes de réintroduction ont d’ailleurs été mis en place mais sans succès. C’est le cas de l’ours qui a disparu de la forêt au milieu du XIX°. Les oiseaux y sont également nombreux, comme les pics. Il n’est pas rare de croiser une forge de pic épeiche, il s’agit de son garde-manger.
Bien entendu, le pic tridactyle est également présent dans la partie réserve intégrale du parc. Il se nourrit, entre autre, des scolytes … ces fameuses scolytes responsables de l’abattage de la forêt décidé par le gouvernement.
Les scolytes sont de petits insectes xylophages. Ne pouvant digérer par lui-même le bois, il transporte avec lui un champignon capable de le faire. Le scolyte fait partie du rythme biologique naturel des forêts, mais certains insectes ont transporté avec eux un variant phytopathogène du champignon. La succession de périodes de sécheresse auraient également favorisé le développement des scolytes. Les arbres stressés par la déshydratation produisent une hormone attirant les insectes. Attaqués par des défoliateurs et des scolytes, les arbres finissent par perdre leur écorce et mourir.
Sous prétexte de lutter contre ces scolytes, le gouvernement polonais a ordonné l’abattage des arbres contaminés, et ce contre l’avis des scientifiques qui soutiennent que la forêt sera capable de réguler elle-même le problème. Tout cela s’inscrit dans un complexe politique compliqué : la communication n’est pas très claire, qu’advient-il des arbres abattus ? Combien d’arbres le gouvernement souhaite-t-il abattre ? Ajoutons à cela la volonté de lever l’interdiction de lever la chasse au bison … La forêt de Bialowieza a décidément du soucis à se faire. Espérons que la mobilisation internationale permettre de faire un contre-poids assez solide pour sauver cette dernière forêt primaire d’Europe.
Pour en savoir plus :
- Reporterre : “Le gouvernement polonais s’attaque à un trésor de la nature”
- Libération : “Le pouvoir qui gâche la forêt”
Et si vous n’avez pas encore signé la pétition pour sauver la forêt, la voici :
I support the protection of the entire Bialowieza Forest in Poland