L’auberge Wahi no Yado

Lundi 27 janvier

Finalement ,en milieu d’après-midi, nous gagnons l’auberge Washi no Yado où nous passerons la nuit. Situé à la sortie du village, dans un vallon le long d’un ruisseau de montagne où pêche un couple de cincle de Pallas, au pied du mont Rausu, ce gîte n’est pas n’importe lequel. C’est LE gîte, THE spot, pour observer le légendaire grand-duc de Blakiston. Pensez donc à réserver à l’avance, car les places sont très prisées. Il est d’ailleurs le passage obligé pour les ornithos du monde entier en voyage à Hokkaido. Il faut donc impérativement arriver de bonne heure pour pouvoir poser ses affaires et prendre le temps de s’installer avant la tombée de la nuit.

Gîte pour observer le kétoupa, Rausu, Péninsule de Shiretoko

Dès notre arrivée, je suis surprise par la modestie des lieux contrastant avec la renommée du site. Deux baraquements font face à la rivière où des spots désignent l’endroit où le grand-duc se nourrit généralement une fois l’obscurité installée. Seule une fine cloison de papier sépare notre chambre, munie d’une grande baie vitrée pour l’observation, de la pièce adjacente. Les futons quant à eux sont soigneusement pliés dans un coin de notre espace. Enfin, les toilettes et la salle de bain communes se situent le long de l’étroit couloir donnant sur la chambre des propriétaires. Pour gagner la pièce commune servant à la fois d’observatoire et de salle à manger, il faut sortir. Il convient donc de limiter vos allers et venues pour éviter d’effrayer les oiseaux.

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Gîte pour observer le kétoupa, Rausu, Péninsule de Shiretoko
Un véritable observatoire
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Gîte pour observer le kétoupa, Rausu, Péninsule de Shiretoko

Enfin, la neige finit par se calmer. Il ne nous faut pas longtemps pour laisser nos deux valises dans la chambre et après avoir fait deux trois images du site, nous nous rendons dans la pièce commune.

Ce soir, les seuls clients sont des Japonais originaires d’Hokkaido, de Sapporo plus précisément. Le mur présente une série de photos de grands-ducs à la bague bien visible de la même façon que des clichés de suspects et de leurs empreintes digitales dans un poste de police. D’ailleurs un descriptif accompagne chacune d’elles, carte d’identité de l’individu. Malheureusement, toutes rédigées entièrement rédigée en japonais.

Le café à volonté augure une longue nuit d’affût alors qu’un carnet d’observation énumère les horaires de passage des oiseaux très minutieusement. Ainsi, je découvre que la veille, l’oiseau avait daigné se montrer avant le repas servi à 18h. Il passe donc régulièrement ici mais pas nécessairement tous les jours. Mais les abondantes chutes de neige du jour auront peut-être un effet sur ses habitudes ?

Site de nourrissage

Effectivement, le grand-duc est un habitué du lieu. Ce n’est en effet pas difficile à comprendre : tous les jours, les propriétaires des lieux déposent des poissons vivants dans une zone aménagée du ruisseau. Des phares, orientés vers le garde-manger, permettent ainsi aux touristes de ramener un souvenir. Aussi, dois-je bien avouer m’interroger sur l’intérêt et l’aspect éthique d’une telle démarche. Sentiment d’artificialité renforcé d’ailleurs par les images de pygargues attirés par les poissons jetés à la mer durant la matinée.

Certes l’observation de la nature dans ces conditions a un peu moins d’attrait que la rencontre fortuite avec un animal mythique. Mais surtout, ce type de démarche répétée à l’excès peut avoir des répercussions négatives sur l’écologie de ces espèces. On le voit par exemple avec le nourrissage des grues du Japon en hiver. Cependant, c’est parfois le seul moyen d’observer des espèces vraiment rares. Ensuite, le développement de l’écotourisme et de ce genre d’établissement permettent de mettre en évidence l’intérêt économique de la préservation de la nature. Cet aspect mercantile pèse dans les choix politiques. Ainsi, cette petite auberge perdue sur la péninsule de Shiretoko a su, de mon point de vue, trouver le juste équilibre entre tourisme et respect de la nature.

Bien que le côté organisé atténue l’effet de surprise, je peux vous assurer que je trépignais d’impatience quand, à 18h, l’oiseau n’était toujours pas passé. Nous abandonnons alors la baie vitrée pour nous mettre à table avec une seule question en tête, viendra-t-il ce soir ? Le repas traditionnel est toujours aussi excellent et nous le dégustons les yeux rivés vers la fenêtre … ce serait dommage de le rater.

Le grand-duc de Blakiston, espèce mythique

Le Grand-duc de Blakiston, appelé également kétoupa, (Bubo blakistoni – Blakiston’s Fish Owl) est une grande espèce de hibou. Son envergure peut en effet atteindre 1,90m. L’espèce se divise en deux sous-espèces. Tout d’abord Bubo blakistoni blakistoni, présente ici à Hokkaido ainsi que dans les Sakhaline et îles Kouriles, ensuite Bubo blakistoni doerriesi, que l’on rencontre au Nord-Est de la Chine et Sud-Est de la Sibérie. Le kétoupa se nourrit essentiellement de poisson. On peut ainsi comprendre qu’il vive dans les forêts riveraines et primaires à proximité de cours d’eau.

Malheureusement, il s’agit d’un oiseau rare et menacé. En Sibérie la population ne dépasse pas quelques centaines d’oiseaux et n’excède pas 50 couples à Hokkaido. Autrefois, l’espèce était présente à travers toute l’île d’Hokkaido. Mais aujourd’hui elle reste cantonnée à sa partie Est. Pour survivre, le kétoupa a besoin d’habitats bien particuliers. Tout d’abord, il lui faut suffisamment de grands arbres avec des trous où il peut installer son nid. Ensuite, des rivières avec des ressources en poissons importantes.

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Derniers réglages !

Plusieurs mesures de conservation ont ainsi été mises en place à Hokkaido. Premièrement, l’effort a été porté sur le maintien des habitats. Ensuite, la mise en place de plateformes de nourrissage comme ici à Wahi no Yado permet de compenser la diminution des ressources trophiques. L’installation de nichoirs, offrant de nouveaux sites de reproduction, a quant à elle, permis de pallier à la pénurie de logement. Enfin, une campagne de sensibilisation et d’équipement des lignes électriques permet de lutter contre l’une des principales causes de mortalité des grands-ducs : les collisions.

Une nuit d’affût

Enfin, à 19h, le grand-duc, majestueux, vient se poser sur un arbre dans l’obscurité à proximité du point d’eau. Il y reste quelques instants avant de descendre sous les feux des projecteurs pour récupérer sa proie. Malheureusement, sur ce premier passage, mes réglages n’étaient pas vraiment les bons. Il reprend rapidement son envol pour disparaître dans la pénombre.

19h30, l’oiseau m’offre une une deuxième chance que je saisis au vol. J’immortalise enfin l’instant.

J’attendrai tard dans la nuit mais il ne reviendra pas. Seul un renard, daignera passer devant le gîte, furetant tranquillement et sans s’arrêter. Au final, il est presque minuit quand je regagne ma chambre sans m’empêcher de jeter un regard depuis la fenêtre vers le ruisseau.

Je programme le réveil pour 3h30, la nuit est courte. Le thermomètre affiche -9°C. Le givre recouvre les vitres et j’ai du mal à l’ouvrir quand, à 4h frappante, le grand-duc vient à nouveau se poser. Génial ! Il repassera à 5h puis 5h40, peu avant le lever du soleil.

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Grand-duc de Blakiston, Rausu, Péninsule de Shiretoko
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Grand-duc de Blakiston, Rausu, Péninsule de Shiretoko
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Grand-duc de Blakiston, Rausu, Péninsule de Shiretoko
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Grand-duc de Blakiston, Rausu, Péninsule de Shiretoko
Sunrise

Les nuages de la veille ont enfin disparu et le mont Rausu au sommet bien visible se teinte de rose. Nous quittons définitivement nos sièges d’observation. Le grand-duc ne reviendra plus désormais. Les passereaux quant à eux commencent à s’activer. Le couple de cincle reprend également sa partie de pêche tandis que les pygargues sillonnent le grand ciel bleu. Quel contraste avec la veille !

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Gîte pour observer le kétoupa, Rausu, Péninsule de Shiretoko
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Ruisseau de montagne à Rausu
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Rausu, Péninsule de Shiretoko

L’ambiance dans l’auberge semble désormais plus détendue. Chacun se réjouit de sa nuit et de ses images. L’hôte sert les différents petits déjeuners. Cette fois-ci nous avons pris l’option européenne, et nous sommes heureuses de déguster nos viennoiseries. La conversation s’engage avec nos compagnons d’affut. Tous viennent de la région de Sapporo et sont, pour ainsi dire, des habitués. Pour ma part, j’ai l’impression de manger dans la salle commune du gîte des salins de Badon et même si les échanges se font en anglais avec quelques mots de japonais, je ne me sens pas si dépaysée. Mais il est temps de nous quitter et de reprendre la route. Notre voiture dissimulée sous de sacrés paquets de neige semble les amuser. Direction la prochaine étape du voyage, la péninsule de Notsuke.

1 Comment

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    Philippe AMIOT
    Posted 08 avril 2020

    La prochaine fois tu m’emmènes dit !

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