Matinées des Samedi 26, Dimanche 27 et Lundi 28 décembre
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Durant trois jours, nous sommes restés sur Kaolack, cette grande ville de 200 000 habitants située à environ 190 km de Dakar. Stratégiquement positionnée, elle dispose d’un port encore très actif. Construit à l’époque coloniale par les français, il permet aujourd’hui encore de tirer des revenus de l’exportation de l’arachide et du sel. Le sel est une production locale puisque les salins sont situés au sud de la ville, sur les tannes du fleuve Saloum. Malgré l’éloignement avec l’océan (112 km), la production saunière de Kaolack est possible car l’eau du fleuve subit l’influence des marées de l’océan. L’eau salée gagne sur l’eau douce et remonte bien en amont de Kaolack. Cette « transgression marine » est favorisée par la baisse régulière du débit du fleuve à laquelle s’ajoute les années de sécheresse.
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La production de sel à Kaolack est une activité ancestrale. Les longues caravanes d’harratins (esclaves affranchis) quittaient la ville et s’enfonçaient vers l’intérieur de l’Afrique, amenant le sel vers le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire… et ce, durant des siècles. Mais avec l’industrialisation de la production, ces caravanes ont été peu à peu remplacées par un transport fluvial. Aujourd’hui, l’ensablement du fleuve limite aux seuls navires à faible tirant la possibilité de naviguer. Les choses évoluant, ce sont désormais les camions qui ont pris le relais.
Avant le lever du jour, nous nous positionnons à proximité de tables salantes artisanales en rive nord du fleuve. Les premières lueurs du jour apparaissent, c’est le signal d’envol pour les Faucons crécerellettes. Quittant leur dortoir sur une ile au milieu du fleuve, ils se dispersent dans toutes les directions. Nous sommes postés sur une zone de passage, un premier individu, suivi d’un deuxième survolent le paysage de tanne qui s’offre à perte de vue devant nous.
Ces deux oiseaux sont le prélude à un impressionnant passage de plusieurs centaines d’individus. En moins de 20 minutes, on dénombre un millier de crécerellettes. Jusqu’en 2007, on ne savait pas grand-chose des zones d’hivernage de ce petit faucon en Afrique. Enfin si, on savait que les populations d’Europe orientale et d’Asie allaient hiverner en Afrique australe dont l’Afrique du sud où d’importants dortoirs étaient connus. Quant aux populations d’Europe occidentales, cela restait un mystère. Durant deux hivers, des équipes d’ornithologues français ont patrouillé les zones sahéliennes du Niger, du Mali et du Sénégal et c’est en 2007 qu’ils ont découvert un important dortoir à proximité de la ville de Kaolack. Ils ont estimé à 28 000 le nombre de ces faucons ! Est-ce le seul ? Non car sur le site de Kaolack, on trouve essentiellement des oiseaux espagnols. Les Faucons crécerellettes français eux hivernent plutôt dans le sud-est de la Mauritanie et au Mali. Le récent programme de baguage et de pose d’émetteurs sur des oiseaux réintroduits en Bulgarie a montré de nouvelles zones d’hivernage au Tchad et au Niger. (http://rapaces.lpo.fr/faucon-cr-cerellette/zone-hivernage-des-faucons-cr-cerellettes-originaires-de-bulgarie). La présence d’autres dortoirs est une bonne nouvelle pour la survie de cette espèce sur ses quartiers d’hiver. Toutefois, en Europe comme en Afrique, les menaces sur la biodiversité sont permanentes. Un projet d’extension des salins de Kaolack en direction de l’ile servant de dortoir se précise … la pérennité de ce dernier pourrait être remise en question.
Les recherches menées sur place par des ornithologues ont permis d’en connaitre davantage sur l’écologie de notre petit Faucon sur les terres sénégalaises. L’analyse des milliers de pelotes de réjection que l’on trouve au pied des baobabs dortoirs ont permis d’estimer à une moyenne de 25 le nombre de criquets capturés par jour et par Faucon. Cela pourrait représenter un minimum de 700 000 criquets par jour soit 70 000 000 pour toute la période d’hivernage. On peut considérer le crécerellette comme un excellent auxiliaire agricole. En revanche, il ne fait pas bon être criquet au Sénégal ! (http://www.futura-sciences.com/magazines/nature/infos/dossiers/d/zoologie-heros-biodiversite-1681/page/6/)
Les Crécerellettes ne sont pas les seuls à aimer les criquets et à venir se réfugier sur cette ile durant la nuit. En ce début de jour, alors que le passage des sombres Crécerellettes s’estompe, apparaissent d’élégants oiseaux au blanc plumage. Le dos légèrement plus gris, deux taches carpales noires et une longue queue profondément échancrée permettent d’identifier des Elanions nauclers.
Ce rapace strictement africain à l’écologie peu connue se reproduit sur l’ile en densité importante (110 nids sur 2,8 km2 d’habitats favorables) et durant l’hiver, ce même site leur sert de dortoir. Aux oiseaux locaux se rajoute alors un important contingent en provenance des régions environnantes. L’élanion est un migrateur partiel qui effectue des mouvements saisonniers. Il remonte vers le sud du sahel pour se reproduire et redescend vers les zones soudanaises pour hiverner. Faucons et Elanions cohabitent sur les dortoirs alors que ces deux espèces se partagent les mêmes proies et sont donc en concurrence directe. Chez l’élanion, les orthoptères (55%) et les solifuges (43%) représentent l’essentiel de leur régime alimentaire hivernal. Les comptages effectués pour cette espèce au dortoir de Kaolack sont encore plus impressionnants que ceux des crécerellettes. Environ 31 000. Ce qui fait de ce dortoir une zone d’importance accueillant quasiment 60 000 rapaces ! Probablement l’un des plus gros dortoirs de rapaces au monde. Le pattern des départs matinaux de l’Elanion est différent de celui des Faucons. Si en moins de 40 minutes, le passage des Crécerellettes est terminé, et ce bien avant le lever du soleil, le passage des Elanions s’étire sur une grande partie de la matinée. Parfois seuls quelques oiseaux défilent de manière disparate puis soudain des groupes de plusieurs dizaines apparaissent sur l’horizon. En faisant un 90 degrés aux jumelles lors d’un rush, on a dénombré 342 individus. Le front de passage est large car que l’on regarde vers la droite ou vers la gauche il y a des oiseaux.
Au fil de l’avancée des minutes, le passage se décale vers l’est, nous obligeant à régulièrement changer d’emplacement pour se trouver au bon endroit. Pas vraiment farouches, les oiseaux nous entourent sans changer de trajectoire, juste un petit regard au passage.
Le flux diminue petit à petit puis s‘éteint. Nous en profitons pour partir explorer le tanne. Quasiment pas de végétation dans ce paysage où les remontées salines affleurent. De temps en temps, des ilots permettent de gagner quelques décimètres d’altitude, suffisant pour faire diminuer la salinité et voir apparaitre une mini strate herbacée et accompagnée parfois de quelques buissons.
Nous repérons au loin sur la rive du fleuve un Chacal du sénégal. Nous tentons d’approcher mais dans ces paysages plats, il est difficile de se dissimuler et lui aussi nous a repéré depuis longtemps.
Craintif, il maintient constamment une distance de 400 mètres entre nous. Nous arrêtons d’avancer, il s’arrête aussi, surveille les environs puis finit par se coucher. Nous reprenons notre approche, il se relève immédiatement et s’éloigne définitivement en trottinant.
Un Milan à bec jaune bien moins farouche vole dans notre direction, nous passant à quelques mètres au dessus de la tête. Si nous avions été en France, le Milan noir aurait changé de cap depuis bien longtemps, mais ici au Sénégal, ces rapaces se sont habitués à vivre auprès des hommes et ne les craignent pas. Nous croisons son regard, il semble un peu surpris mais poursuit son chemin à la recherche de proies.
Autre rapace présent sur les rives du Saloum, un Balbuzard pêcheur remonte le fleuve un poisson dans les serres. Nous le suivons quelques instants aux jumelles, le temps de voir apparaitre de nombreux points noirs sur l’horizon. Une deuxième vague d’Elanions approche. Nous prenons position sur un touradon et attendons. Tôt ce matin, le soleil voilé par une brume et des nuages ne nous avait pas permis de faire des photos exploitables. Le ciel est à présent dégagé, nous avons droit à une deuxième chance. Glissant de leur vol élégant, les Elanions rasent le sol, prennent quelques mètres d’altitude, se laissent déporter par le petit vent, plongent à nouveau vers le sol, enchainent par une série de battements d’ailes, capture au passage un insecte inconscient avant de s’éloigner. Ils sont cette fois encore plus nombreux que ceux de la première heure du jour. Nous en comptons facilement plus de 3 000. Où que l’on porte les jumelles, il y a de l’élanion ! Difficile de sélectionner un oiseau pour en faire une photo ou le filmer, le chasser croisé est incessant.
Parmi cette masse d’élanion, nous repérons un jeune. Il se distingue des adultes par une queue moins longue et moins fourchue mais surtout par l’absence des tâches carpales noires. Après réflexion et consultation de nos photos, c’est le deuxième juvénile que nous ayons identifié au cours des trois matinées passées ici à observer cette migration journalière. Surprenant, car nous n’avons pas pu passer au travers… quoique dans le nombre, il ne soit pas forcément facile de faire attention à la présence de ces fameuses tâches. Autre hypothèse, il y a peut être des dortoirs différents pour les adultes et les jeunes chez cette espèce ?
Le soleil commence à jouer son rôle, les brumes de chaleur se font sentir, les courants thermiques se créent et le passage des Elanions gagne en altitude. Notre attention est attiré par un vol de Flamants nains. Les oiseaux survolent à plusieurs reprises le fleuve, semblant indécis concernant la zone où atterrir. Leurs couleurs roses ne passent pas inaperçues dans cet univers des tannes où le blanc domine.
La lumière est à présent trop vive, les yeux nous brulent, nous quittons le site et rejoignons la ville pour un arrêt à la station essence.
Tout au long de la route, nous sommes surpris de croiser des quantités d’Elanions remontant vers le nord. Durant le remplissage du réservoir, soit environ 2 minutes, ce sont plus de 200 oiseaux qui transitent au dessus de la station. Le front du passage est très large et le nombre d’oiseaux vraiment impressionnant.
Les deux matins suivant, nous profiterons à nouveau de cette fabuleuse opportunité que de voir passer des Elanions et des Faucons crécerellettes parfois à moins de 2 mètres de nous. Les conditions lumineuses des deux jours suivants seront moins bonnes, ne nous permettant pas de faire de meilleures photos que celles prises lors du premier jour. Mais le spectacle n’en restera pas moins exceptionnel ! Au max, nous aurons un millier de Faucons crécerellettes et 5 à 6 000 Elanions nauclers
1 Commentaire
Stephan Peten
Une fois de plus, un vrai régal ces petits compte-rendus !
Instructifs, toujours joliment illustrés et bien écrits, ces tranches de vie sont manifestement le résultat d’une passionnée bien documentée.
A la lecture de tes récits, j’ai tout récemment ajouté le Sénégal dans mes destinations futures !