Samedi 07 mai 2016
Après deux jours sur les rivages du Cap Corse, nous avons rallié la montagne. Vers 5h30 ce matin les oiseaux ont commencé à chanter nous sortant de notre courte nuit. Si les Bruants zizis et les Merles noirs ne dépareillent pas avec les oiseaux du bord de mer, les chants des Mésanges noires indiquent bien que nous avons changé de milieu. Petit enregistrement histoire de garder en mémoire cette ambiance alors que les premières lueurs du jour se dessinent vers l’est, derrière les sommets déchiquetés qui nous entourent.
Encore 30 minutes de route pour arriver dans une belle pineraie de pin laricio, habitat de prédilection de la seule espèce d’oiseau endémique de France. Nous sommes à plus de 1300 m d’altitude et les majestueux laricios plusieurs fois séculaires pour certains portent leurs aiguilles en bout de branches. De ci delà, des arbres morts viennent enrichir cet habitat. Nous garons la voiture au sommet du col et partons prospecter le long de la route. Seules les Mésanges noires se font entendre.
Après plus d’un quart d’heure, nous entendons enfin des cris intéressants. Du Venturon corse ! Un couple semble particulièrement apprécier une portion de pelouse sommitale où les deux oiseaux se nourrissent. Mais à notre approche, il trouve rapidement refuge dans les frondaisons des grands pins voisins. Quelques minutes plus tard, nous les croisons à nouveau sur un versant pentu. Le soleil qui s’est à présent levé n’éclaire pas encore cette portion de montagne et faire des photos se révèle très difficile avec si peu de lumière.
Nous poursuivons notre prospection et enfin, nous entendons les cris recherchés, camouflés au milieu des chants et des cris des Mésanges noires. Notre espèce cible de ce matin est la Sittelle corse. C’est une petite sittelle moins colorée que la Sittelle torchepot, ressemblant davantage à la Sittelle Kabyle ou à celle de Krüper, recherchant les vieilles pinèdes où elles trouvent des arbres morts pour y creuser son nid. C’est une particularité de cette espèce, elle n’occupe pas les cavités creusées par un pic mais fore son propre nid douillet. C’est en 1883 qu’un ornithologue anglais, John Whitehead fit la découverte de cette nouvelle espèce lors du premier recensement exhaustif des oiseaux de corse. Un seul mâle (reconnaissable à sa calotte noire alors que la femelle possède une calotte grise) capturé dans une localité qu’il tenu secrète fut envoyé au British Museum. Il revint l’année suivante et découvrit de nouveaux individus ainsi que des nids. Sa répartition actuelle correspond essentiellement à la zone intérieure de l’ile, le long de la chaine centrale entre les altitudes de 600m et 1700 m, depuis la forêt de Meleja-Tartagine au nord jusqu’au massif de l’Ospédale au sud (Thibault 1983)
La sittelle sait se montrer très discrète. Ses cris peuvent facilement passés inaperçus au milieu des cris des autres oiseaux de la foret. Pour rendre son observation encore plus difficile, cette petite sittelle fait régulièrement des pauses, se tenant immobile et silencieuse. On pense alors que l’oiseau s’est envolé alors qu’il est toujours présent dans le même arbre, dissimulé dans une touffe d’aiguilles.
Ici un enregistrement de l’ambiance de la pineraie avec Mésanges noires, Roitelets huppés,, Grive draine et cris d’une Sittelle corse (entre 1min03s et 1min13s).
Après de longues minutes, nous parvenons enfin à observer un individu se déplaçant sur une grosse branche horizontale. Il poursuit sa quête de nourriture dans les branches supérieures avant que nous ne le perdions de vue. 20 minutes plus tard, nouveau contact d’un couple se nourrissant à la lumière. Nous faisons quelques photos, elles sont un peu lointaines mais nous ne parviendrons pas à faire mieux.
Le soleil s’est suffisamment élevé dans le ciel pour éclairer le sol de la forêt de Pins laricios et les blocs de granite qui la parsèment. L’érosion de cette rocheuse donne naissance à des silhouettes particulières, des blocs aux formes émoussées séparés par des fissures plus ou moins larges. Dans les montagnes corses, cet habitat est colonisé par le Lézard de Bedriaga un endémique corso-sarde rupicole, qui comme son nom de genre latin l’indique (archeolacerta), est l’un des lézards les plus primitifs d’Europe. Décrit pour la première fois par l’herpétologue russe Jacques Von Bedriaga qui mena en 1880 une grande étude sur les reptiles et amphibiens de l’île, ce lézard se rencontre principalement dans les moyennes montagnes et c’est là où l’on trouve les plus fortes densités. Mais l’espèce exploite un large gradient altitudinal puisqu’il est possible de la rencontrer à proximité du littoral où existent des populations relictuelles jusqu’aux plus hauts sommets corses. Nous passons en revue les affleurements granitiques en bord de route. Il faut de l’attention en ces heures matinales pour parvenir à repérer le plus gros des lézards corses. Immobile au bord d’une anfractuosité, le Lézard de Bédriaga à, comme tous les organismes hétérothermes, besoin de faire le plein de chaleur avant de pouvoir s’activer. Nous parvenons à repérer un individu parfaitement camouflé sur de la mousse sombre, puis une fois la taille de l’animal dans l’œil, nous découvrons une petite colonie d’environ une dizaine d’individus. En quelques minutes, les animaux atteignent une température efficace, se dispersent et partent en chasse. Les petits invertébrés tels que des vers oligochètes, araignées, coléoptères, fourmis… feront parfaitement l’affaire.
Les Mésanges noires poursuivent leurs vocalises au-dessus de nos têtes et de temps en temps les Sittelles corses font une brève apparition. Nous sommes pourtant à une période favorable mais le couple local ne semble pas très loquace !
Nous quittons notre bout de route accompagnés par le chant d’un Bruant zizi, direction le col de Vizzavone.
La météo avait annoncé l’arrivée des nuages et en effet de manière inéluctable, le ciel bleu disparait. Si jusqu’à maintenant nous étions abrité du vent, à présent, sur le col de Vizzavone, nous le sentons bien. On se couvre en prévision de la « randonnée » que nous souhaitons faire, en direction de la cascade des Anglais. L’entame se fait avec une côte qui ne dure que quelques minutes, ensuite, une fois sur la tête, on bascule sur l’autre versant où le sentier serpente aux pieds de magnifiques hêtres. Il y a comme un petit air de forêt d’Europe de l’est … mais sans son cortège d’oiseaux. Ici rien ne chante !
Nous atteignons finalement assez rapidement le fond de la gorge d’où nous parvient le bruit de l’eau. Encore quelques mètres et l’on découvre le site. Les cascades ne sont pas des plus impressionnantes mais le site vaut le détour avec le Monte d’Oro, l’un des plus hauts sommets corses, nous surplombant avec ses 2389 m ! Cascade des Anglais … mais que vient faire ce nom d’anglais au fin fond de la corse ? A la même époque que Whitehead découvrit la Sittelle corse, il y avait un tourisme aristocratique anglais sur Ajaccio (fin du 19ème siècle, début du vingtième) et c’est à dos d’âne que les riches anglais étaient convoyés pour découvrir le site.
En cette saison de l’année le débit de la rivière Agnone est conséquent. L’eau cristalline s’écoule dans une succession d’une douzaine de cascades entrecoupées de vasques, où l’été, il doit faire bon s’y baigner. Point de baignade aujourd’hui, c’est plutôt avec la polaire et le coupe-vent que nous évoluons. Dans une vasque nous découvrons un Discoglosse corse, une espèce de grenouilles endémique de l’île …
Si d’un point de vue ornithologique, l’originalité de la Corse est certaine, elle l’est encore davantage pour tout amateur d’herpétologie. Inféodée aux eaux fraîches des ruisseaux de montagne, l’espèce a besoin d’eaux d’excellentes qualités pour survivre. Nous remontons les cascades et découvrons d’autres vasques avec des têtards mais plus la moindre trace d’adultes. Le ciel est à présent bien gris, presque menaçant. Nous rebroussons chemin et retournons au parking où nous avons laissé la voiture.
Après un passage dans un petit café au pied du col (où d’ailleurs ils vendent d’excellents Lonzos…) nous consacrons l’après-midi à une vallée voisine. Les milieux humides en bord de route héberge une flore colorée constituées d’orchidées, de Cyclamens et de Pancraces d’Illyrie aux magnifiques fleurs blanches. Cette espèce, commune en corse, est présente depuis l’étage thermoméditerranéen jusqu’au montagnard.
Nous prospectons tous les ruisseaux que nous croisons en les remontant sur plusieurs centaines de mètres. La plupart du temps, le milieu se referme assez rapidement et les conditions pour la présence de l’Euprocte corse non réalisée. Seul un ruisseau plus grand, offre des conditions propices avec de belles dalles rocheuses. Pas de chance, nous ne trouverons pas cet autre endémique corse. En revanche, nous découvrons une autre espèce de Discoglosse, sarde ce coup-ci. Parfaitement mimétique dans son milieu, ce bel adulte resta de longues minutes au bord de sa vasque confiant dans ses capacités cryptiques, comme s’il se laissait bercer par le clapotis des vaguelettes
Nous terminons la fin de journée par une randonnée le long d’une piste forestière accompagnés par un beau silence et occasionnellement le chant d’une mésange noire. De retour au parking, c’est là où nous faisons notre plein d’observations. Chants d’une Sittelle corse et de Bruants zizis, parades de deux couples d’Aigles royaux au-dessus des arêtes rocheuses accompagnés de Chocards à bec jaune et dernier rapace du jour, évoluant au milieu des aigles … un Balbuzard pêcheur pas vraiment à sa place ici !