Dimanche 17 juillet.
Dernière grosse étape de notre voyage en Islande, la péninsule de Snaefellsness à laquelle nous avons consacré deux jours. A l’instar de nombreux endroits en Islande, l’empreinte volcanique est partout visible. Volcans, champs de lave recouverts de mousses, cônes pyroclastiques, orgues basaltiques, superposition de couches de laves … le tout dominé par les 1448 m d’altitude du volcan éponyme. Une bien belle région à découvrir au fil des pas.
Nous prenons notre petit déjeuner dans une baie à l’ouest quelques kilomètres à l’ouest de Stykkisholmur. La marée étant basse, il est facile d’observer sur les vasières Huîtriers pies, Pluviers dorés et autres Tournepierres à collier.
Vers l’ouest, des panneaux de présentation de la faune locale nous incitent à faire un arrêt dans la baie de Breïdafjordur. Au pied de la « montagne église », le Kirkjufel qui domine la baie du haut de ses 463 m d’altitude, s’étendent de larges vasières.
Quelques Tournepierres à collier s’affairent dans les algues brunes mais c’est plutôt ce gros groupe de limicoles qui attire notre attention. Il y a bien quelques brumes de chaleur mais nous parvenons à identifier des Bécasseaux maubèches. Nous sommes d’ailleurs chanceux car le groupe décolle et se rapproche de nous. Identification confirmée. Finalement ils sont plus nombreux que ne le laissait apparaitre notre premier décompte. Nous en dénombrons environ 400, frénétiques dans la recherche de nourriture.
C’est la deuxième fois, après l’ile de Flatey que nous contactons cette espèce. Nous sommes surpris de voir en cette mi-juillet autant d’oiseaux en halte migratoire. Ces maubèches doivent certainement appartenir à la sous-espèce islandica dont les populations nicheuses les plus proches se trouvent sur la côte est du … Groenland ! Et oui, le maubèche ne se reproduit pas en Islande, il n’y fait pas assez froid pour cette espèce du haut arctique préférant les toundras balayées par le vent glacial pour se reproduire. Sur les cartes de répartition, les territoires de nidification de cette sous-espèce s’étirent depuis le Groenland en passant par les îles du haut arctique canadien avec pour extrémité occidentale l’île du Prince Patrick. Entre la fin du mois de juillet et le début d’août, alors que la reproduction est terminée, une partie de ces oiseaux font une halte dans l’ouest de l’Islande durant une à deux semaines, profitant alors pleinement des ressources offertes par l’île, avant de rejoindre la Mer des Wadden. C’est sur ce dernier site que 50% des individus de la population des islandica se rassemblent pour muer, les autres effectuant leur mue directement sur leur lieu d’hivernage, à savoir principalement les côtes de l’Angleterre et dans une moindre mesure les côtes atlantiques françaises. Durant l’hivernage, l’espèce est assez localisée, exigeante au niveau des conditions d’habitats et surtout trophiques. Ainsi, une poignée d’estuaires de la côte anglaise hébergent à eux seuls 60% de la population hivernante européenne. En mars, une grande partie des oiseaux retourne dans la Mer des Wadden pour accumuler des réserves. Durant le mois de mai, les oiseaux effectuent une dernière escale sur les côtes les plus septentrionales de la Norvège. La région du Porsangerfjord (le fjord à l’est du Cap Nord) dans le Finmark est réputée pour ces stationnements. En 2008 par exemple, ce sont environ 40 000 Bécasseaux maubèches qui y ont fait escale. Là, ils s’engraissent durant deux à trois semaines, exploitant les importantes ressources en Macoma balthica, un bivalve de la famille des tellines. Un petit détour par le Varangerfjord, 130 km à l’est, puis ils quittent définitivement les rivages norvégiens. A ce stade, les oiseaux ont un taux d’adiposité élevé puisqu’il représente entre 30 et 35% de leur masse corporelle. Ce carburant accumulé va leur servir à parcourir d’une traite plus de 3 000 km au dessus de l’arctique, direction les territoires de reproduction qu’ils atteignent début juin. Les réserves de graisses non consommées durant ce long vol deviennent essentielles lorsque les conditions des sites de reproduction ne sont pas encore satisfaisantes. Il leur faut parfois patienter durant plusieurs jours pour que la neige ait suffisamment fondu et que la reproduction puisse commencer. La migration des Bécasseaux maubèches est réputée pour être l’une des plus longues au monde. Toutefois ce ne sont pas les individus de la sous-espèce islandica qui parcourent les plus grandes distances. Les oiseaux se reproduisant en Sibérie (sous-espèce roselaari) vont hiverner sur les côtes de l’Afrique de l’ouest ou de l’Afrique australe … Quant à ceux de la sous-espèce rufa d’Amérique du nord, ils descendent jusque sur les côtes patagoniennes du Chili et de l’Argentine.
Nous laissons nos Bécasseaux maubèches et jetons un dernier coup d’œil sur la tour rocheuse du Kirkjufel. De nombreux oiseaux ont choisi la tranquillité de ses hautes falaises pour s’y reproduire. Fulmars et Goélands bourgmestres notamment. Depuis le bord de mer, ils semblent bien petits tout en haut de leur citadelle.
La route longe la côte et les paysages sont splendides. Dans les falaises justes en retrait du bord de mer, des colonies plus ou moins lâches de Fulmars ont élu domicile. En mer, ils sont aussi bien présents dès que l’on s’arrête. D’ailleurs pour la pause méridienne, nous choisissons un petit pic surplombons le fjord. Alors que nous pique-niquons, les Fulmars effectuent un ballet incessant passant parfois à moins de trois mètres de nous. Et ils sont nombreux ! L’Islande offre de bien belles opportunités d’observation !
Le temps se gâte et passe au gris. Quelques gouttes d’eau font leur apparition. Le long des plages de galets que l’on trouve au fond de certaines baies, s’égrènent des reposoirs de Goélands bourgmestres et des rassemblements d’Eiders à duvet. Nous tentons de faire quelques photos des goélands mais ils se révèlent particulièrement craintifs, décollant alors que nous sommes encore sur la route. Bref nous parvenons avec peine à réaliser des photos documentaires.
Un dernier arrêt nous permet toutefois de découvrir une dizaine de Bécasseaux sanderling au magnifique plumage nuptial. Fidèles à leurs habitudes, ils courent sur la grève profitant du reflux des vagues pour capturer les invertébrés et autres mollusques mis à nu. Parfois, ils grimpent sur les laisses formées par l’accumulation d’algues et y croisent un discret Bécasseau violet. Ce jeune de l’année est parfaitement mimétique dans l’entrelacs de phéophycées.
L’appareil photo fait des siennes, enfin plus précisément la carte mémoire. Elle ne nous affiche plus certaines photos et aucun des films… Cette marque de cartes mémoires que nous avons achetée aux Etats unis ne semble pas fiable car une autre carte identique avait grillé alors que nous étions en Afrique du sud. Nous avions acheté au départ deux cartes de 32 Go, afin d’être tranquille lors de nos voyages et ne pas avoir à se soucier du nombre de déclenchements. Mais voilà, c’est notre dernière carte dans notre sac photo et il reste encore trois jours. On est dimanche, ce n’est pas gagné de trouver un magasin ouvert ou tout simplement un magasin vendant des cartes type Compact Flash. Les bourgades que nous traversons depuis ce matin sont des petits port de pêche où les seuls commerces, quand ils existent, semblent être les stations services. Nous croisons les doigts en espérant que le prochain village puisse être le bon !
A l’entrée du premier village que nous rencontrons, nous sommes attendus par une famille de Plongeons catmarins. Pas de doute, ce couple n’est pas très farouche pour avoir choisi de s’installer ici alors que les aménagements, dont un ponton, indique la fréquentation régulière de cet étang par les habitants voisins. Cela n’a pas empêché ce couple de mener à bien la couvaison et aujourd’hui c’est en compagnie de deux jeunes encore emmitouflés dans leur plumage duveteux qu’ils nagent sur l’étang. Pour l’instant les jeunes suivent encore les parents, adoptant la stratégie de repli vers le centre de l’étang à notre approche. La distance pour la photo est exceptionnelle … Nous sommes contraints de reprendre nos cartes pleines et commencer le tri pour en supprimer. Une photo par ici , une photo par là, que c’est dur de gagner 10 photos ! Surtout qu’elles partent ensuite en moins de 10 secondes lorsque les catmarins adoptent de belles postures.
Notre séance d’observation au bord de la route a intrigué un van qui fait demi-tour et s’arrête près de nous. Une dizaine de personnes en sorte, équipées d’appareils photos, première bonne surprise. La deuxième c’est qu’ils parlent français ! La troisième, c’est un groupe de photographes dirigé par un accompagnateur de Découverte du vivant, ceux avec qui nous faisant les sorties cétacés depuis Sanary ! Le monde est petit et la chance avec nous ! Nul besoin de négocier longtemps pour récupérer une carte de 32 Go opérationnelle. Merci à Olivier Larrey pour son prêt, il nous aura permis de terminer sereinement notre séjour et de pouvoir continuer notre compte rendu de voyage avec des photos 🙂
C’est détendus que nous reprenons la route. Au bord d’une zone de marais, un observatoire récemment construit permet de découvrir l’avifaune présente.
Il y a pléthore de Sternes arctiques, elles nichent sur les digues et sur les bas-côtés de la route voisine devenue très passante en raison de l’augmentation du nombre de touristes. Sur cette portion de route, une expérimentation est en cours pour tenter de diminuer la mortalité des jeunes sternes suite aux collisions avec les voitures. En effet, dès qu’ils sont suffisamment alertes, les oisillons quittent le couvert végétal pour se positionner en limite de zones dégagées. La chaleur apportée par la route, le camouflage qu’offre le noir de l’asphalte et la facilité pour être nourri sont les principaux facteurs attractifs ! Sur plus d’un kilomètre, l’enrobé a été colorié avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Le but étant de trouver quelles couleurs sont susceptibles d’effaroucher les jeunes sternes et les tenir éloignées de la route.
Parmi le millier de sternes adultes, nous en repérons plusieurs au plumage atypique. Bec noir, pattes sombres, front et calotte blanche, seul un loup noir se prolonge vers l’arrière et s’étend sur la nuque … La silhouette est similaire à celle des sternes arctiques voisines et ce n’est qu’après consultation du guide que le verdict tombe. Ce sont aussi des Sternes arctiques mais en plumage de deuxième été …
Il n’est pas classique d’observer ce type de plumage car les jeunes oiseaux ne reviennent pas durant leurs premières années des territoires d’hivernage dans les mers australes. Les premières reproductions n’ayant lieu qu’à partir de l’âge de 3 ans, nul besoin pour ces immatures de quitter l’hémisphère sud avant. D’autant plus que la migration entre les deux hémisphères dure en moyenne 4 mois et que les oiseaux parcourent à chaque fois environ 35 000 km, on comprend qu’il ne soit pas nécessaires de revenir avant dans le nord. Un autre facteur qui intervient dans cette stratégie est la longévité de cette sterne marine. La plus vieille Sterne arctique baguée est morte à 34 ans. En moyenne ces sternes vivent une vingtaine d’années ce qui leur laisse de nombreuses années pour se reproduire, inutile donc de se presser et autant profiter de la richesse des eaux australes.
Devant l’observatoire, une Grive mauvis semble particulièrement apprécier les ombellifères. L’Islande et les Iles Féroé hébergent une sous-espèce particulière, coburni qui se distingue de la ssp iliacus par des stries plus nombreuses et plus larges sur le dessous du corps. Mais notre oiseau décide de nous montrer que son dos pour la photo !
Dernière surprise de cet observatoire, la densité de Phalaropes à bec étroit. Le tour de l’étang permet d’en dénombrer plus de 750 ! Il s’agit là de la plus grosse concentration que nous ayons eue jusqu’à présent au cours de notre voyage ! Et dire que nous sommes contents en Camargue lorsque l’on en croise un ou deux !
Nous terminons notre périple dans un système dunaire côtier. De là, une petite séance de seawatch s’improvise car une fois de plus, il y a de l’activité en mer.
Passage de plusieurs groupes de mâles d’Eiders à duvet, mouvement incessant des Sternes arctiques dont on abandonne le compte tellement elles sont nombreuses, transit de 4 Fous de Bassan et de 5 Macareux moines mais encore une fois ce sont les Phalaropes qui s’emparent de la palme avec en trois vols, un cumul supérieur à 1 000 individus. Une fois la reproduction terminée, adultes et jeunes Phalaropes se regroupent et gagnent la mer. La population islandaise est estimée à environ 50 000 couples, sachant qu’en moyenne ce sont 4 œufs qui sont pondus, on peut raisonnablement compter sur une population en fin d’été comprise entre 200 000 et 250 000 individus. Des groupes de plusieurs milliers sont dès lors possibles.
[wc_fa icon=”book” margin_left=”” margin_right=””][/wc_fa] Sources : Site Fidelity and Survival Differences between Two Groups of New World Red Knots (Calidris canutus)
Brian A. Harrington, John M. Hagan and Linda E. Leddy
The Auk Vol. 105, No. 3 (Jul., 1988), pp. 439-445 ( http://www.jstor.org/stable/4087439?seq=1#fndtn-page_scan_tab_contents )
- http://www.ringmerking.no/cr/red_knots_2008.pdf
- https://www.researchgate.net/publication/291881576_The_migration_system_of_European-wintering_knots_Calidris_canutus_islandica
- http://www.registrelep-sararegistry.gc.ca/species/speciesDetails_f.cfm?sid=980
1 Comment
LEMERCIER
Bravo pour ces magnifiques photos et ces compte-rendus qui ne font qu’aiguiser notre envie de visiter ce pays.